Afrique 🌍 - Wayombo Centre Afrique

Emplacement de Wayombo

Wayombo, c'est le nid de l'aigle en Baya. C'est le nom que Tété, le capita, avait donné à l'endroit, quand Germaine Chauvigné et son fils Daniel créèrent  sur ce plateau une  plantation de tabac vers 1947 à 10 kilomètres au nord de Carnot en Centre Afrique. Aujourd'hui, l'endroit (Latitude : 5.00000, Longitude : 15.86667) porte encore ce nom, même si on ne l'écrit pas toujours de la même façon : Wayoumbou, Ouayombo, Ouayambo ...

La première maison, en pisé était dressée sur le plateau dans un endroit trop venté. Quand Daniel se lança dans la construction d'une maison en briques de kaolin, l'emplacement choisi était plus bas, sur la route de Carnot.


Écoutons Daniel raconter cette époque ...




(Sources : 7 métiers, 7 mémoires par Daniel Chauvigné)

Dou !.. Dou !.. Dou !.. le chant mélodieux du coq de brousse, retentit un beau matin en fin de saison sèche. Les indigènes attendaient avec attendaient avec impatience le chant de ce volatile qui annonce la venue prochaine de la saison des pluies. Aussitôt les tam-tams retentirent pour fêter l’événement. On pouvait dès lors semer l’arachide et repiquer le manioc.

J’attendais moi aussi ces indices qui, mieux d’une météo, présagent le retour des pluies dans les trois jours à venir. On allait pouvoir repiquer les plants de tabacs qui, pendant la saison sèche, avaient été mis à forcir dans la plaine, près du marigot qui borde le domaine. La partie la plus importante de notre plantation est sur le plateau qui domaine la Nana, grosse rivière poissonneuse qui, à la saison des pluies, déborde dans la plaine qu’elle transforme en marécage tout en apportant un limon très fertile.


Le retour de la saison des pluies

- Bonjour patron ! Tété, mon Capita (chef d’équipe) me saluait avec un bon sourire. C’est un ancien tirailleur de la guerre 1914–1918, de haute stature, il a conservé sa chéchia défraîchie et ses décorations pendantes délavées par le temps.
- Bonjour Tété, as tu entendu « Doudou » (onomatopée désignant le coq de brousse) et les tam-tams.
- Oui patron, qu’en penses-tu ?
- Laisse seulement cinq ouvriers pour l’arrosage et le cerclage des plants et embauche des saisonniers pour effectuer le repiquage et creuser les canaux d’irrigation sur le plateau.
- Bien patron.

Puis s’adressant à ses hommes restés humblement à l’écart, d’une voix autoritaire qui contraste avec la jovialité de ses traits :
- Ala goué na kodro ti sala matanga ! (allez tous au village pour préparer la fête !)

Je n’ai pas été étonné de l’interprétation de mes paroles, car la coutume veut qu’une fête se doit être célébrée pour tout facteur important de la vie.


La viande de chasse

Dans l’immédiat, l’important pour eux, est que pendant un mois deux cents hommes vont trouver un salaire et manger de la viande fraîche. Chez ces gens simples l’argent n’est qu’un palliatif servant à acheter de la pacotille, voire du pétrole pour la lampe tempête et du savon pour le linge et la toilette. La société de consommation n’a pas touché le peuple de brousse comme leurs congénères des villes qui se pavanent dans des souliers trop étroits pour leurs pieds aplatis et qui arborent souvent un casque colonial sur leur tête crépue. En réalité l’argent sert surtout aux jeunes, en âge de se marier, pour acheter une concubine. La nourriture est abondante, sous forme de manioc, poisson et fruits exotiques ; seule la viande est rare, car les mouches tsé-tsé, abondent dans la région et interdisent tout élevage équin, bovin, porcin ou ovin, seuls les cabris et les animaux sauvages n’attrapent pas la maladie du sommeil. Le gibier n’est capturé qu’en fin de saison sèche au cours des feux de brousse et seuls, quelques rares piégeurs parviennent à prendre dans leurs pièges des antilopes et des phacochères qu’ils vendent très cher. Aussi, en plus de leur salaire, je fournis à mes manœuvres de la viande de chasse une fois par semaine. C’est pourquoi, le dimanche matin je pars à quatre heures avec deux pisteurs et une dizaine de porteurs vers la savane boisée, loin des lieux habités. Vers six heures, alors que le soleil flamboie derrière les collines bleutées et que, dans un léger brouillard, s’évapore la rosée matinale, nous arrivons sur les terrains de chasse. Les pisteurs ont l’art de déchiffrer les traces qui sillonnent le sol pour guider silencieusement et à contre vent notre petit safari jusqu’à portée de tir. Là il faut que j’arrive à distinguer les animaux dont le mimétisme avec la végétation rend la présence difficilement visible.

Souvent, à mes débuts, je laissais échapper un troupeau que je n’avais su voir à temps. Par la suite, j’ai acquis de l’expérience et, presque aussi rapidement que le pisteur, mon œil est attiré par une oreille ou une queue qui en bougeant pour chasser les mouches, me faisait reconnaître un animal, puis tout le troupeau. Je ne tire que les males, toujours en surnombre par rapport aux femelles et je limite ma chasse à deux buffles ou trois antilopes. L’animal est dépecé sur place, la viande transportée vers la plantation par les porteurs. Je conserve, pour ma famille, les faux-filets, les filets et les abats ; le reste est distribué équitablement à tous les travailleurs par le chef d'équipe Le fiel est, traditionnellement donné au chef pisteur qui le vend au sorcier du village. Celui-ci, par une préparation connue de lui seul, en fait un aphrodisiaque très efficace et très recherché par les vieux qui en offrent un bon prix.


L'histoire de la mangouste et de l’œuf

A la maison, nous aimons tous les animaux et en plus du chien bassendji et du chat siamois, nous avons apprivoisé un singe vert et une petite mangouste. Cette dernière appelée Riki est très espiègle et très vive. Bien que son pelage gris vert et rude ne soit pas particulièrement caressant, elle est aussi affectueuse qu’un jeune chat. Ce carnassier détruit les insectes rampants, les rongeurs et les serpents, mais il est aussi friand d’œufs. Je me suis aperçu de ce dernier détail un après midi. Alors que mes frères et ma mère faisaient la sieste, je lisais un livre, allongé sur le divan du salon, lorsque mon attention a été attirée par un faible bruit. C’était le grincement de la porte du buffet que Riki ouvrait de sa patte griffue. Intrigué, je l’ai regardée faire ; la petite bête pris un œuf entreposé, avec d’autres, dans un bol, le posa délicatement sur le sol et referma discrètement la porte du buffet, puis elle partit sur la terrasse avec son butin. Soulevant l’œuf avec ses pattes antérieures, elle le projeta sur la terre battue où il s’est brisé, enfin elle a lapé rapidement le liquide et ramassé la coquille qu’elle est allée enfouir dans la terre meuble d’un massif de fleurs. Repue et satisfaite, elle vint alors se blottir près de moi.

A son réveil, j’ai raconté cette anecdote à ma mère qui m’a dit en souriant :

- Je m’étais aperçue que chaque jour il manquait un œuf dans le bol et je soupçonnais le boy du larcin !

Le lendemain, après le repas, elle ôta tous les œufs du bol et mit à leur place un œuf en plâtre, servant habituellement à inciter les poules à pondre dans le pondoir, puis nous nous sommes cachés pour épier Riki.

N’entendant plus de bruit, la mangouste, après avoir regardé autour d’elle, a, comme la veille, ouvert la porte du buffet, pris l’œuf, refermée la porte puis est partie sur la terrasse avec son larcin. Une première fois elle projeta l’œuf sur le sol, et l’air très intrigué, elle regarda l’objet de sa convoitise rouler sans se briser. Calmement elle le reprit et l’envoya plus fort … Dressée sur son arrière train elle hocha la tête en tous sens et semblait très perplexe … Après plusieurs essais infructueux, Riki entra dans une grande colère et frappa l’œuf postiche à coups redoublés et rageurs puis, voyant l’inutilité de ses efforts la petite bête abandonna la lutte et s’en alla.

Riki, ne nous vola plus jamais d’œufs !


La fête du village

Le tam-tam commençait à résonner dans le village où nos ouvriers ont construits leurs cases rondes en pisé recouverte de paille. Ce village est situé sur un petit plateau, à mi-pente de la colline et non loin du marigot où les femmes vont puiser de l’eau et laver leur linge.

La fête battait son plein. Dans tous les villages voisins viennent des hommes avec leur femme et leurs enfants portant des victuailles et des instruments de musique rudimentaires où dominent les tam-tams de danse et les balafons, sortes de xylophones formés de lames de bois dur posés sur des calebasses de citrouilles creuses et sèches.

Accompagné de ma mère et de mes petits frères, je me suis rendu sur la place circulaire du village. Aussitôt, la musique devint douce, discrète, afin que nous puissions saluer tous les chefs et les sorciers. A tous nous demandons des nouvelles de leur famille, de leur village … Cela prend du temps, mais c’est une politesse naturelle, liée à une coutume immuable. Nous nous extasions sur les bonnes sur les bonnes circonstances de leur vie et trouvons des mots de consolation pour les mauvaises. Enfin la fête reprit et la musique devint plus forte, plus rythmée, presque agressive. Nous nous sommes alors invités à manger de la « mouambe », poulet frit à l’huile de palme accompagné de riz épicé. Comme boisson il y a du jus de fruits exotiques et du vin de palme au goût très sucré, peu alcoolisé. Après toutes ces libations, nous sommes repartis vers notre case, après les avoir bien remercié de leur accueil, et tous ces braves gens nous ont applaudi au passage.

La fête s’est poursuivie, pour eux, un jour et une nuit. Pendant ce temps, Tété a choisi les saisonniers en fonction de leurs capacités et de leur force, mais surtout en tenant compte de leur besoin social et familial. Cela donnait lieu à d’interminables palabres qui se terminaient toujours très bien car le chef d'équipe avait la sagesse d’user d’arguments qui faisaient l’unanimité.


Le mise en plantation

Les manœuvres, mis à la tâche, par Tété ont travaillé avec ardeur. Certains ont creusé les canaux d’irrigation, d’autres ont enterré les plus beaux plants dans la pépinière et les derniers, les ont repiqués, bien alignés, sur le plateau préalablement labouré.

Ma mère avait décidé que l’on ne repique qu’un hectare de tabac, car la composition du sol était moins calcaire que celle de Loudima et elle craignait de gaspiller inutilement notre provision de graines. En fait notre terrain s’est avéré être bien plus fertile et nous avons récolté une fabuleuse récolte.

Les pieds de Kentucky dépassent deux mètres et ceux de Cabot atteignent un mètre cinquante, donc beaucoup plus grands que ceux de Loudima et les feuilles bien plus saines sont plus nombreuses par pied. Leurs nervures peu accentuées en font un tabac de qualité apte à être transformé en cigares.


Une belle récolte

J’ai appris à conduire tout seul et bien que n’ayant ni assurance ni permis, je manœuvre aisément la camionnette Ford modèle 1939, que mon père avait acheté lors de mon premier séjour en A.E.F. et qui est toujours en excellent état. Muni d’un moteur V8 de 21 chevaux fiscaux et d’une boite de vitesse à trois rapports ce véhicule possède une bonne garde au sol et une grande souplesse de suspension. Il est donc très adapté pour rouler sur les pistes défoncées qui tiennent lieu de route, son seul défaut est d’avoir une trop petite caisse qui ne peut transporter que cinq cents kilos de marchandises. C’est pourquoi j’ai renforcé les ressorts en rajoutant une lame épaisse et augmenté le volume de la caisse en relevant les ridelles. Ces adaptations m’ont permis de transporter huit cents kilos de tabac jusqu’à Bossembélé, bourgade où un grossiste regroupe le tabac récolté avant de l’expédier, par camions sur la manufacture de Yanoundé au Cameroun. J’ai mis deux jours pour effectuer les trois cent cinquante kilomètres, car le balan de la cargaison ne me permettait pas de rouler très vite sur la piste cahoteuse et sinueuse.

Le grossiste, Monsieur MILON s’est extasié devant la qualité de mon tabac et m’a proposé de venir chercher le reste de la récolte avec ses camions. Nous avons regretté de ne pas avoir exploité la totalité de notre domaine, car nous aurions réalisé une fortune qui nous aurait permis d’agrandir la plantation.

Bien qu’ayant gagné une belle somme, celle-ci n’était pas suffisante pour attendre la prochaine récolte, aussi maman emprunta cent mille francs à un riche planteur de Carnot en lui laissant pour caution toute son argenterie. Ce planteur Ajax Cinclair, est un martiniquais célibataire de soixante dix ans mais qui en apparaît cinquante cinq. Il a une plantation de café de huit cents hectares, en plein rapport, qu’il dirige depuis vingt cinq ans. C’est un ami de longue date de mes parents qui le chinaient souvent en l’appelant Ajax au teint clair !

Nous allons de temps en temps prendre un punch chez lui et je suis surpris de constater son érudition ainsi que sa jeunesse d’esprit et de corps … Les petites négresses qui partagent sa couche m’ont confié qu’il est encore très vert malgré son âge et ses cheveux blancs. Je pensais alors au fiel des sorciers ...


Une vraie maison en briques

Avec Tété et mes manœuvres, nous avons ensemencé la plaine et défriché toute la surface du plateau, puis en attendant la saison des pluies, j’ai décidé de remplacer notre maison de torchis par une maison en briques.

Ancienne maison à Wayombo avec le capita Tété


Nous avons d’abord construit un four pour cuire les briques de glaise que nous récoltons près du marigot. En fait cette glaise est du kaolin gris de très bonne qualité qui devient rouge en cuisant dans le four. J’ai fabriqué des moules en bois, ce qui a permis leur uniformité et un travail à la chaîne en trois temps : 1er temps remplissage des moules, 2ième temps, séchage sur place au soleil pendant deux jours, 3ième temps, remplissage du four et cuisson.

L’emplacement de la maison a été délimité à mi-pente du plateau, face à la large plaine qui donne sur la Nana et moins exposée au vent que la case que nous avons sur le mont dominant le plateau.

Dès la fin des fondations, les briques sont montées à chaque sortie du four. Avec la camionnette je navigue sans cesse entre le marigot et le plateau pour amener le kaolin et le chemin du retour je porte les briques cuites sur l’emplacement de la nouvelle maison. A ce rythme les murs ont été montés en un mois. Il restait à, aller couper des arbres dans la forêt pour construire la charpente. Le plus dur a été de mettre en place la longue poutre faîtière, puis le toit a été recouvert de tuiles de palme. Il s'agissait de feuilles de palmier disposées sur deux baguettes de bois et cousues avec des éclats de bois gros comme des cure-dents. Ces tuiles faisaient à peu-près 1 mètre de large sur 50 centimètres. Elles étaient superposées et fixées sur les solives à l'aide de lianes. Pendant ce temps,  les maçons enduisaient les murs de crépi. En deux mois la maison a été terminée ainsi qu’une cuisine érigée à proximité. Nous étions très fiers de notre œuvre, notre maison très fonctionnelle, pouvait également accueillir les blancs de passage. Hospitalité coloniale oblige ! (clic sur l'image pour voir plus grand)

La maison neuve de Wayombo 1948



 

L'aventure de l'homme Panthère

Tous les week-ends, j’apporte de la viande de chasse fraîche ; tout se présentait bien et nous attendons la saison des pluies avec impatience pour repiquer les plants de tabac.

Nous possédons un jardin potager et un beau cheptel de poules, canards et chèvres et, dans un enclos de rondins grossit un cochonnet d’une vingtaine de kilos. Sur notre domaine, les mangues, goyaves, ananas et bananes pullulent, aussi nous n’avons aucun souci de nourriture.

Claude était venu passer quelques jours de congé avec nous, et une nuit, nous avons été réveillés par Tété qui frappait à la porte. Venez vite, nous dit-il, on a entendu des cris et des grognements provenant de l’enclos de votre cochon.

Armés de fusils et éclairés avec une lampe tempête, nous nous sommes précipités, mais, lorsque nous sommes arrivés sur place nous avons constaté la disparition de notre goret. Dès l’aube, accompagnés de Tété, de Banga, et du pisteur nous sommes retournés sur les lieux. Banga a eu vite fait de déchiffrer les traces et de nous dire ce qui s’était passé :

- Zé (en sango, nom de la panthère) a pris le cochonnet dans sa gueule, sauté la clôture et s’est enfuie dans la forêt pour dévorer sa proie.

Banga suivit la piste qui nous amena jusqu’au bacou (zone marécageuse boisée) très dense où les rayons du soleil percent difficilement le matelas de feuilles et de papyrus. Outre l’inconvénient de la pénombre, la boue et les ronces enchevêtrées rendent la progression malaisée. Il faut également se méfier de la réaction possible de la panthère aux abois. Soudain, nous avons perçu un feulement rauque. Zé était tapie, tout près, le pisteur s’est accroupi et nous a montré du doigt un fourré à une dizaine de mètres.

- Zé a yéké da (la panthère est là) ,dit-il en chuchotant.

Claude et moi avons scruté le roncier, mais dans le clair-obscur, nous ne sommes pas arrivés à déceler la bête, tant le mimétisme de sa robe tachetée la rendait invisible à nos yeux, moins habitués que ceux de Banga. Il me semblait n’entendre que mon cœur qui battait contre ma cage thoracique ! Soudain, d’un bond majestueux, la panthère s’est enfuie sans qu’on puisse la tirer.

Banga était fâché que nous n’ayons pas vu l’animal à une distance où le tir était immanquable. Il nous montra le refuge de branchage où subsistaient les restes de notre petit cochon. Nous avons récupéré les bons morceaux et nous avons rejoint la plantation.

Les trois nuits suivantes, la même panthère a capturé à chaque fois un cabri dans le cheptel des villages voisins.

Les grosses empreintes des pattes, visibles sur le sol humide, dénotaient que cette panthère avait une taille peu commune. Tété nous a demandé de lui prêter un fusil pour se mettre à l’affût, la nuit, dans la cabane qui enferme les cabris de son village. Vers trois heures du matin, nous avons entendu deux coups de feu, Tété avait tiré sur la panthère qui tentait de pénétrer par le toit de chaume, mais ne l’a pas touchée. Claude et moi avons pensé que le chef d'équipe avait tiré trop tôt et que les plombs avaient été amortis par l’épaisseur de la paille. Mais Tété, en colère d’avoir supporté pour rien l’affreuse odeur du bouc, nous dit :

- ça, patron, y en a n’jo-zé (ça patron c’est un homme panthère)

- Tu veux dire que c’est un homme revêtu d’une peau de panthère, lui dis-je ; pourtant c’est bien une panthère que nous avons vue dans le bacou !

Tété est un homme très pieux qui fait tous les dimanches dix kilomètres à pied pour se rendre à l’office de la mission catholique, mais il porte, suspendues au cou, à côté de la croix du Christ, deux amulettes qui laissent à penser qu’il lui reste des croyances ancestrales. Malgré tout sa réponse nous a étonnés :

- Ce n’est pas un déguisement, c’est un homme qui, la nuit, prend l’apparence d’une panthère mais qui conserve les propriétés de son cerveau humain. Rappelez-vous, dans votre enclos, elle a pris le cochon en sautant la balustrade, dans le village voisin, elle a évitée le piège que l’on avait placé et s’est introduite par le toit pour capturer un chevreau ; enfin cette nuit elle s’est enfuie au moment où je tirais !

Pour tenter de capturer la bête, tous les villageois des environs ont effectivement construit des pièges constitués d’un passage forcé au bout duquel est enfermé un jeune cabri qui, privé de sa mère, bêle toute la nuit. Dans le passage, une planchette, mue par la patte de la panthère, libère un tronc d’arbre lesté de pierres qui, en retombant, écrase l’animal. Ces pièges, habituellement très efficaces, étaient pourtant dédaignés par cette panthère.

- Donnez moi l’autorisation de réunir les sorciers, nous demanda le chef d'équipe.

Convaincus que cela ne servirait à rien, nous lui avons accordé ce qu’il nous demandait. Après quatre heures de palabres, discussions et magie, Tété nous a confié :

- On a trouvé la coupable, c’est Maligua le piégeur du village de Wansiguila, qui est l’homme panthère.
- Qu’allez-vous faire ?
- Nous allons faire un contre-sortilège qui permettra de la capturer.

Très septiques, nous avons fait semblant de croire à cette histoire…Une semaine plus tard, en pleine nuit, nous avons été réveillés par le tam-tam et les appels d’hommes, munis de lampes tempête. Le chef d'équipe était avec eux.

- Venez vite, nous dit-il, Zé a été prise dans le village de Wansiguila.

Avec Claude, Tété et tous les hommes nous sommes partis avec la camionnette dans le village distant de cinq kilomètres.

Des torches et un grand feu éclairent la place du hameau et tous ses habitants dansent de joie au son d’un tam-tam. Le chef nous accueille avec un grand sourire.

- Balao moud’jou, alla ayéké d’joni ? (Bonjour les blancs, comment allez-vous ?)
- Balao mingui, na mo, na kogra ti mo. Zé a quoi da ? (Bonjour à toi et à ta famille. La panthère a été tuée ici ?)

ze, la panthère

Claude et moi nous nous sommes acquittés de ce rite. Nous avons été très acclamés et avons été conviés à boire de l’alcool de palme et de manioc pour fêter l’événement. Le chef du village et Tété sont à nos côtés et nous vantent l’effet du contre sortilège des sorciers et la qualité du piège. Soudain Claude sursauta :

- N’est-ce pas dans ton village que vit Malingua le piégeur ? Où est-il ? Je le connais bien et ne le vois pas dans l’assistance.
- Lo a quoi awé (il est mort), répondit le chef très calme.
- Quand ?
- Cette nuit en même temps que la panthère nous dit-il d’un air naturel et convainquant.
- Il ne pouvait plus vivre sans son cerveau, enchérit Tété.

A notre demande le chef nous conduit vers la case de Malinga. Celui-ci était bien mort, son corps nu ne porte pas de trace de coups ni de blessure et n’a pas encore la raideur cadavérique. A son chevet, sa femme pleure en silence. Elle nous a expliqué que la faute commise par son mari le condamnait à ne pas être enterré avec la fête rituelle. Il sera donc abandonné, nu, dans la brousse où les charognards et les hyènes se chargeront de le dépecer.

- On ne peut pas enterrer un homme sans son cerveau, conclut sagement le chef du village.

Le lendemain, je me suis rendu à Carnot raconter toute cette histoire au gendarme français. Celui-ci me dit que Malinga a certainement été empoisonné par un poison foudroyant afin que la crédibilité des sorciers subsiste. Il n’y a sur place aucun moyen d’autopsie, il ne pouvait donc rien faire sans preuve.

Néanmoins, je suis resté longtemps troublé par tant de coïncidences :

Seul le piège du village de Wansiguila avait fonctionné.
C’est dans ce village que vivait le piégeur incriminé.
C’est dans ce village qu’il est mort, alors que, se sachant soupçonné, il lui était possible de fuir ses détracteurs …


Retard des pluies, plantation en faillite

La saison des pluies aurait dû commencer depuis trois semaines, Doudou ne chantait pas, le ciel était serein. Les plants de tabacs avaient déjà dépassés la taille idéale pour le repiquage et, si l’on tardait encore, la récolte serait compromise.

J’ai donné l’ordre à Tété de faire creuser les sillons d’irrigation dans la terre durcie et craquelée du plateau. Pendant ce temps j’ai encore renforcé la suspension de la camionnette en plaçant des cales de bois entre les ressorts et le châssis, afin de pouvoir transporter cinq fûts de deux cents litres d’eau que l’on puise avec des seaux dans le marigot.

La brave Ford grimpe vaillamment la côte malgré la surcharge, mais chaque fût vidé dans le sillon est absorbé en vingt mètres.

Pendant que les manœuvres effectuent le repiquage, je fais, dix heures par jour, la navette entre le marigot et le plateau, trimballant des milliers de litres d’eau. Malgré tous ces efforts, le tabac dépérissait…

La pluie est arrivée avec deux mois de retard et la moitié de la récolte était fichue … Cela n’aurait pas été trop grave si la croissance du tabac restant s’était poursuivie normalement, mais malheureusement pour nous, la sécheresse avait également favorisée la venue de minuscules papillons blancs qui ont pondus leurs œufs sous les feuille et provoqué leur racornissement, ce qui les rendaient impropre à la vente. Dans ce pays il n’existait pas encore d’insecticide, aussi nous avons assistés, impuissants, à la destruction de la récolte.

Cette faillite mit fin à ce métier qui m’avait d’autant plus passionné que c’était une œuvre personnelle qui m’avait laissé espérer d’envisager l’avenir avec optimisme pour toute la famille.

Ajax Cinclair, en vieux colon plein d’expérience, nous a conseillé de persévérer car, selon lui, nous ne pouvions pas avoir deux mauvaises récoltes consécutives. Il rendit l’argenterie à ma mère et proposa de nous aider financièrement une fois de plus, mais maman n’a pas voulu abuser de sa gentillesse.

Courageusement elle resta avec les petits, tandis que Tété et quelques manœuvres sont restés bénévolement pour cultiver des légumes, que maman vendait aux agents de la Société Minière de Carnot.




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