Mahlon ✍ - Augustin

Bien qu'Augustin-Marie Lucas ne s'inscrive pas dans la lignée généalogique des descendants de Pascal et Marie Louise Lucas, les fils de son histoire sont étroitement liés à ceux de la famille de Pascal. Il semble opportun et intéressant de suivre son histoire bigarrée, à partir de sources diverses. Le premier témoignage, le plus personnel, dont nous disposons est l'autobiographie de sa petite-fille, Évangeline Soyer, écrite le 29 mai 1941. Cependant, son nom est récurrent dans d'autres récits, au point que l'on s'est d'abord demandé si c'était celui d'un seul homme ou de plusieurs. Quand les pièces du puzzle furent ordonnées, on obtint le tableau d'un homme aux activités innombrables, qui n'avait pas eu le temps de s'ennuyer beaucoup dans la vie.

Augustin-Marie Lucas est né à Bangor, ou plus probablement au village de Kernest, à Belle-Isle-en-Mer le 6 mars 1804. Il est l'aîné des huit enfants de Jean-Marie Lucas et de Marie Anne Séveno. et est donc le frère aîné de Marie-Louise Lucas. Il a été scolarisé à Bangor. A l'époque, il y avait une activité maritime florissante à Belle-Isle et une vie de marin était naturelle pour un fils de l'île. C'est ainsi qu'à 18 ans, il prend la mer, d'abord comme matelot, puis comme marin-pêcheur, mais très vite, il s'engage dans le service en haute mer et effectue trois voyages entre 1824 et 1826. En 1826, il est nommé lieutenant et second capitaine pour un voyage à la Guadeloupe, à la Martinique et à la Réunion. Après des cours de navigation à Rordeaux et à l'École d'Hydrographie de Rochefort, il obtient son brevet de capitaine en 1831 et celui de capitaine au long cours le 2 juin 1832. Le même jour, son frère cadet, François Lucas, obtient lui aussi son brevet de capitaine au long cours.

Entre temps,  Augustin avait épousé Élisabeth Zoe Bellais, fille d'un aubergiste de Rochefort. La date du mariage est donnée pour 1830 par Mlle Soyer, et pour le 2 septembre 1832 par M. Adrien Carré, dans son intéressante monographie 'La Singulière histoire de l'Oriental-Hydrographe', publiée dans le Bulletin No. 2, 1970, du "Comite Nantais de Documentation Historique de la Marine".

Une fille, Mathilde, est née à Rochefort, apparemment en mars 1833, alors qu'Augustin est parti en voyage. Quand elle a eu 6 mois, elle fut laissée avec ses grands-parents. Augustin et sa femme sont partis en voyage vers l'Amérique du Sud dans le "Trophée Mathilde", commandé par le capitaine Lucas. En passant le Cap Horn par le détroit de Magellan, ils sont frappés par un grain hivernal. Le "Trophée Mathilde" perd un mât et son gouvernail. Le navire est ballotté pendant trois jours et se retrouve recouvert d'une couche de glace. Le capitaine Lucas met au point un gouvernail de substitution et parvient à faire avancer le navire malgré la tempête, pour finalement atteindre Valparaiso, où le "Trophée Mathilde" est immobilisé pour réparations. Pendant ce temps, le 17  mars 1835. une deuxième fille,Dolorès, est née.

Un mois plus tard, ils reprennent la mer et atteignent Rochefort en septembre 1835. Le capitaine Lucas est officiellement recommandé par le ministère de la Marine pour son action dans le sauvetage du navire et pour son invention d'un gouvernail de secours.

Le capitaine Augustin poursuit sa vie de marin, mais laisse sa famille à Rochefort. Il acquiert une bonne réputation en tant que capitaine compétent et et auteur de plusieurs articles sur la technologie et l'administration maritimes. En juillet 1838, il abandonne le commandement de l'un des meilleurs navires de la marine marchande française et se rend à Paris pour promouvoir l'idée d'un navire-école pour les officiers de la marine marchande. Il propose audacieusement de naviguer autour du monde avec un équipage de cadets qui recevraient une formation à toutes les phases de la conduite d'un navire, y compris des cours de mathématiques et de navigation. Malgré les encouragements du gouvernement, il faut un peu plus d'un an pour réunir 42 cadets français et trois passagers, plus 13 Belges inscrits sur la liste des passagers, bien que la moitié d'entre eux soient  des cadets.

Le prix du voyage de formation de deux ans prévu est de 5000 francs, ce qui n'est pas une petite somme à l'époque. Finalement, le capitaine Lucas trouva un trois-mâts, 'l'Oriental", d'une longueur de 110 pieds et d'une jauge de 370 tonneaux, construit en 1835, qui fut finalement armé en septembre 1839. Les officiers du navire comprenaient Jean François Briel, qui avait épousé la sœur d'Augustin, Louise Augustine, en janvier de la même année. François Prosper Bellais, le frère cadet de la femme d'Augustin, est engagé comme matelot. Au dernier moment avant le départ du mouillage de Saint-Nazaire, le 4 septembre 1839, Augustin fait monter à bord sa femme et ses deux filles, ainsi que sa sœur, Louise Augustine, épouse de son troisième lieutenant, Jean François Briel.

Ils naviguèrent d'abord jusqu'à Belle-Isle, où Augustin embarqua trois novices inexpérimentés de sa connaissance. Quittant Belle-Isle le 6 septembre, "l'Oriental" fit voile vers Lisbonne, où l'expédition fut reçue avec tous les honneurs, peut-être en grande partie à cause de l'aide que Belle-Isle avait apportée à la restauration de la reine Maria sur son trône en 1831. "L'Oriental" parcourut l'Atlantique en s'arrêtant à Madère, aux Canaries et à Dakar, arriva à Récife, au Brésil, à la fin du mois de novembre, et continua le long de la côte jusqu'au Salvador, à Rio de Janeiro et à Montevideo.

Dans tous les détails du voyage, il vaut mieux baisser le rideau. Dissensions, duels, perte de discipline jusqu'à la mutinerie, interruption du programme d'instruction, renvois et désertions ont fait de la croisière un véritable fiasco, malgré les rapports élogieux envoyés par le capitaine Lucas. Malgré ces problèmes, le capitaine Lucas va de l'avant. Le capitaine Lucas va de l'avant, recrutant des remplaçants, tant bien que mal, pour combler les postes vacants parmi les officiers et les soldats. "L'Oriental" fait escale en Patagonie pour quelques réparations et passe le détroit de Magellan, où il s'échoue pendant dix jours, pour finalement rejoindre Valparaiso en mai 1840. L'"hémorragie" de personnel et d'argent ne s'est pas arrêtée, et avec seulement un quart du voyage autour du monde accompli, il est difficile de croire que même un optimiste comme Augustin Lucas puisse espérer l'achever.

Cependant, après un mois d'escale, le 23 juin 1840, étant maintenant le seul officier qualifié à bord, le capitaine Augustin leva l'ancre apparemment pour Arica, au Pérou. C'était une belle journée claire et ils s'étaient éloignés de 2 milles de l'amarrage. Puis, selon le récit du capitaine Augustin, le vent s'est arrêté et le courant a entraîné le navire sur une plage près du phare, où il s'est solidement échoué et a dû être abandonné. Tout le personnel, le journal de bord et l'argent retrouvé sont sauvés, mais c'est la fin de la croisière. Aucune enquête officielle ne condamne le capitaine Lucas pour ce naufrage, mais l'opinion maritime estime qu'il s'agit d'un coup monté. Au même moment, un ordre est reçu de Paris, annulant le reste du voyage, sur la base de rapports antérieurs, et le consul français à Valparaiso confisque tout l'argent sauvé de l'épave. La plupart des membres du personnel furent laissés seuls à se débrouiller pour rentrer chez eux.

Le capitaine Lucas et sa famille, dans cette situation catastrophique, se rendirent brièvement en Nouvelle-Zélande, où son jeune frère, le capitaine François Lucas, s'était lancé dans la spéculation foncière, ce qui n'aboutit à rien lorsque les Anglais annexèrent la Nouvelle-Zélande et explusèrent les colons français. Augustin, avec sa femme et ses filles, fait une apparition en 1841 dans les îles Gambier, près de Tahiti. Ses filles, Mathilde et Dolorès, sont envoyées dans un pensionnat à Valparaiso, où elles apprennent l'espagnol et l'anglais, ainsi que le français et la langue tahitienne, le ranaka, qu'elles connaissaient déjà. Augustin et sa femme exerce alors diverses activités : transport maritime, commerce de coquillages, gestion d'un magasin général. Et la politique...

Citons le récit d'Évangeline Soyer.

 "Le commerce était bon avec les Hindous, ils mentionnent à tort les Indiens. On échangeait quelquefois de l'or et quelquefois de rares et superbes formeas (coquilles d'huitres perlières) qui étaient pêchées dans la rade et procuraient un moyen d'échange. on les trouvait en plongeant dans la rade. Grand-mère avait collectionné assez de celles-ci pour les vendre à un musée de Paris, mais ils ne parvinrent jamais à destination. Le capitaine du navire ne voulut jamais les vendre. Aucune raison n'est donnée, sans doute ne voulut-on pas payer le transport, si bien que finalement, elles furent jetées à la mer."

Ces Hindous du sud de l'Amérique étaient de braves gens, mais étaient paresseux, comme ils n'avaient pas grand travail pour se procurer de la nourriture. Elle se composait de porc (?), de bananes, de pain, de fruits et des ignames. Ces dernières étaient mangées avant maturité et mises au four. Des pierres rondes et plates étaient chauffées. Des feuilles de palmier étaient ensuite posées sur lesquelles ils mettaient leurs victuailles. celles-ci étaient une fois de plus couvertes de feuilles de palmier, sur lesquelles étaient déposés les détritus, déchets ... Les Hindous s'asseyaient autour jusqu'au coucher du soleil avant de manger. (Ils buvaient) du lait de coco dont les coques servaient de récipient.

Ma grand-mère ne pouvait s'occuper des travaux du ménage et dirigeait le commerce. Elle employait des Hindous pour faire les travaux domestiques. Comme salaire, on leur cédait du savon parfumé, qu'ils appréciaient grandement. Une nuit, son magasin fut pillé. les marchandises manquantes étaient justement les savons et les parfums. Ceci fut rapporté à leur reine qui à son tour découvrit les coupables. Elle leur ordonna d'aller dans les montagnes et d'amener suffisamment de bestiaux pour payer le dommage. Ce fut à l'église que peu de temps après Grand-mère vit la reine avec son mari, suivi par ses sujets en file indienne, suivant leurs rangs, venant en procession solennelle pour offrir la paix."

Augustin était un personnage tempétueux, toujours en conflit avec les autorités et les missionnaires jésuites.. Finalement, il tenta de se faire nommer consul en remplacement du titulaire, alléguant l'avantage de son amitié avec la reine Pomaré de Tahiti. C'en fut trop et en 1848, sous la pression, le capitaine Lucas et sa famille quittent Tahiti pour rentrer en France, 

(Pour des éclaircissements sur cette période on peut consulter un mémoire de Honoré Laval, sur l'histoire de Mangaravia de 1834 à 1871, publié par C, W, Newbury et Patrick O'Reilly dans "Publications de la Société des Océanistes", N°15, Musée de l'Homme, Paris, 1968)

En 1849, la famille émigre aux États-Unis et s'installe dans le comté de Preston, en Virginie occidentale [attenant au comté de Taylor]. Augustin avait un bon intérêt dans l'importation des vins français aux États-Unis, et il acheta de grandes étendues de bois, qu'il coupa et scia pour la construction de navires, comptant sur un bon marché dans l'industrie maritime en expansion, mais une crue emporta sa pile en aval de la rivière et l'anéantit, il vendit sa propriété et déménagea à Cincinnati vers la fin de l'année 1851.

C'est pendant son séjour à Cincinnati qu'Augustin s'est rendu à Belle-lsle, au début de 1854, pour persuader Pascal et Marie Louise Lucas de faire venir leur famille aux États-Unis, et il ne fait guère de doute que leur choix du comté de Taylor pour s'installer a été influencé par la résidence plus récente d'Augustin dans les parages.,
Selon un article paru dans "Ouest France", le capitaine Augustin Lucas est décédé en Amérique vers 1854, ce qui est une erreur, car il apparaît dans les registres de Cincinnati au moins jusqu'à 1858, Évangeline Soyer a écrit que ses grands-parents sont décédés en France sans qu'aucune date ne soit donnée.

La destruction par le feu des archives de la ville de Cincinnati, ainsi que de celles du comté de Preston, rend la piste difficile à suivre, mais une recherche approfondie dans les annuaires de cette ville permet d'obtenir de plus amples informations.

Alors que la famille est à Cincinnati, Dolorès Lucas est enseignante, vraisemblablement de langues. Elle y rencontre Alfred Théodore Soyer, expert en confiserie, né le 18 octobre 1828 à Reims, en France. Il avait exercé son métier dans diverses villes d'Angleterre et des États-Unis depuis 1848, s'établissant à Cincinnati en 1858. L'union fit rapidement son chemin et ils se marièrent le 6 juillet 1858, en l'église de Saint Xavier. L'acte de mariage est signé par "A. Lucas" en tant que témoin.

Un fils, Olivier Alfred, né le 1er novembre 1860, meurt enfant et une fille Adrienne est née le 13 avril 1859, tous les deux à Cincinnati. Dans l'annuaire 1860 de Cincinnati, le nom d'Augustin n’apparaît pas, mais sa femme Zoé y est listée jusqu'en 1861, comme également Alfred Soyer. Il est probable qu'Augustin soit mort vers 1859.

Lorsqu'éclate la guerre de sécession, les Soyer déménagent à Toronto, Canada, où Alfred crée un magasin de confiserie. Il semble que la sœur aînée, Mathilde, les ait accompagnés, et peut-être aussi sa mère. Évangeline y est née en 1853, et Marie en 1868. Quelques années plus tard, Dolorès mourut et la santé d'Alfred commença à décliner, si bien que la famille retourna en France et s'installa près de Brest. Même si l'environnement était charmant, le bonheur n'était pas au rendez-vous et la famille retourna aux États-Unis en 1875, s'installant près de Parkersburg, Wv, sur une ferme d'un demi-hectare.

En 1877, Alfred Soyer épouse sa belle-sœur, Mathilde, la fille aînée d'Augustin Lucas. Adrienne y meurt en 1879, et Mathilde en 1923.

En 1926, une maison de briques fut construite sur une parte de la ferme.. Alfred et les deux filles qui lui restaient ont vécu là jusqu'à la fin de sa vie en 1928 à l'âge de 100 ans 1 mois et 3 jours. Alfred et Mathilde sont enterrés au Musoleum de Parkersburg. Évangeline et Marie étaient encore vivantes en 1941 quand Évangeline écrivit son autobiographie.

La correspondance entre Pascal Lucas et son beau-frère Victor, à Belle-Isle, montre que les Soyer étaient des correspondants et des visiteurs fréquents dans la région de Grafton, et il est probable que Dolorès et Mathilde ont participé à la rédaction de certaines des lettres qui ont été conservées. Ce contact entre les familles s'est poursuivi après le retour des Soyer en Virginie Occidentale.




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