Recherches généalogiques 🔎 - La famille de Germaine Girault
Mon mariage avec Germaine GIRAULT me fit entrer, il y a quarante-cinq ans, dans une seconde famille avec ses traditions et ses légendes. Si les GIRAULT sont de vieille souche poitevine, les COUVRAT-DESVERGNES - côté maternel - ont des origines assez disparates. A un noyau périgourdin, viennent s'adjoindre des éléments provenant de l'Armagnac, du Nord de la France et même d'Irlande.
Chaque terroir apporte ses caractères spécifiques que des mariages entre cousins accentuent, formant ainsi quelques personnalités très affirmées.
On retrouve ainsi chez nos enfants, à des degrés divers, à côté de l'obstination patiente et entêtée des baudets du Poitou, le besoin d'activité des gens du Nord, l'imagination et la prolixité languedocienne, le tout allié à un sens épicurien très périgourdin et à une irascibilité irlandaise.
Donc, Émile GIRAULT, mon beau-père, était poitevin. Sorti dans la Grande Botte de Polytechnique, remarquablement intelligent et cultivé, il faisait preuve d'une grande bonté et d'une grande compréhension. Sa mère était de Bressuire - ou des environs -. Élevée dans un milieu très attaché à la Foi Catholique où l'on rappelait l'existence de parents, pas tellement éloignés, qui avaient pris part aux guerres de Vendée, du côté des blancs bien entendu. Alors que le père d'Émile était né dans un village situé entre Saint-Maixant et Melle, en plein pays protestant. Sa famille était, elle aussi, très attachée à sa Foi et si quelques ancêtres avaient pris part aux guerres de Vendée, c'était du côté bleu ...
Comment avait pu s'effectuer l'union de deux êtres issus de sociétés aux convictions opposées et même hostiles entre elles dans cette fin de XIX° siècle où l'esprit de tolérance n'était pas encore très affirmé, surtout en milieu rural ? Je l'ignore. Mais il semble que leur ménage ait été heureux. Ils ont eu deux fils qui ont grandi dans le respect des deux religions et ont embrassé définitivement la Foi Catholique dans leur adolescence.
Émile et son frère Théodore se ressemblaient beaucoup de visage, sinon de taille car l'un était nettement plus petit que l'autre. Mais ils avaient la même vivacité, les mêmes attitudes, les mêmes moments de distraction des grands scientifiques et les mêmes tics de physionomie que nous nous divertissions à observer lorsque, par hasard, ils discutaient entre eux. Un jour, mon beau-père a effectué un voyage en chemin de fer en compagnie d'un monsieur, parfaitement inconnu, qui lui a tenu une très longue conversation. En le quittant, le monsieur lui a dit : "Excusez-moi, je vous avais confondu avec votre frère ..." Émile, ayant rapporté cet incident à Théodore, les deux frères ont beaucoup réfléchi, remuant tous leurs souvenirs en vain. Aucun n'a pu parvenir à savoir auquel des deux frères ce monsieur s'était adressé.
Théodore avait une fille prénommée Suzanne. On avait découvert chez celle-ci, alors qu'elle était âgée de huit ou dix ans, un ostéosarcome de l'humérus qui avait nécessité la désarticulation de l'épaule droite. Elle a eu la chance de guérir et son énergie, son intelligence, sa volonté lui ont permis de surmonter une telle infirmité. Après des études brillantes elle avait obtenu une place de secrétaire à la Direction de la S.N.C.F. où son activité et sa joie de vivre la faisait particulièrement apprécier de ses supérieurs comme de ses collègues. Suzanne était passionnée de voyages. Elle a parcouru la planète dans tous les sens, ayant le chic de se trouver dans les pays les plus extravagants lorsqu'il s'y passait des événements sortant de l'ordinaire. Dans un pays d'Amérique Latine au moment d'un tremblement de terre; dans un autre alors qu'il s'était produit un accident de chemin de fer, mais elle avait pris le train précédent ... En 1936, à Barcelone, au début de la guerre d'Espagne, elle avait été prise à partie dans la rue, ainsi que d'autres passants, par des miliciens qui, sous la menace de leurs armes, les obligeaient à lever les mains en l'air. Comment lever les deux mains lorsqu'on ne dispose que d'un seul bras ? C'était suspect et il lui fallu palabrer avant de mettre en évidence sa bonne volonté.
A la déclaration de guerre, elle était en Yougoslavie; ce ne fut pas très facile de rentrer en France. En villégiature chez une de ses soeurs à Tunis, elle fut surprise par le débarquement allié en Afrique du Nord de Novembre 1942. A la suite de tractations invraisemblables et rocambolesques, elle a réussi à revenir en Europe à bord ... d'un bombardier allemand ... où avaient pris place un émissaire du gouvernement de Vichy ainsi qu'un prêtre qui avait eu l'occasion d'entendre ce monsieur en confession et lui avait demandé alors un bon tuyau pour rentrer en France. Suzanne a disparu dans un avion-charter qui s'est écrasé en mer en se rendant à Bali. Ce fut son dernier gag.
La famille COUVRAT-DESVERGNES, issue de la petite noblesse rurale périgourdine, rappelle avec quelque fierté les liens qui la rattachent à certains personnage historiques. Alain de SOLMINIHAC, évêque de Cahors sous le règne de Louis XIII, béatifié il y a trois ou quatre ans. Deux siècles plus tard, il y eut le Maréchal BUGEAUD et plus près de nous, dans la branche irlandaise, MAC SWINEY de CLONAR, héros et martyr de l'indépendance de son pays.
Seuls de ces trois hommes, BUGEAUD a laissé un souvenir personnalisé et encore ce n'est qu'un détail. Tout le monde connaît la conquête de l'Algérie, le soldat-laboureur et sa casquette. L'Histoire parle abondamment de ses relations équivoques avec la Duchesse de Berry et de la façon musclée dont il a calmée l'agitation parisienne. Ce qu'on sait moins c'est qu'il a remporté dans les Alpes une victoire sur une armée austro-sarde une dizaine de jours après la défaite de Waterloo dont il venait juste d'apprendre la nouvelle et aussi qu'il fut le seul, en Février 1848, à quitter les Tuileries avec dignité traversant à cheval, au pas et en grand uniforme la foule des insurgés qui se sont rangés pour le laisser passer en dépit de la mauvaise réputation qu'il pouvait avoir auprès d'eux.
Mais ce que les COUVRAT-DESVERGNES savent, car ils le tiennent de leur trisaïeule Philis BUGEAUD est l'incident suivant : Philis avait élevé son frère Thomas lorsque leurs parents avaient été emprisonnés sous la Terreur et après la mort de ceux-ci. Or, un jour, revenant de la Campagne d'Espagne, Thomas dînait à la table de sa sœur aînée. Peut-être avait-il trop fréquenté son collègue CAMBRONNE ? Toujours est-il qu'il eut l'inconvenance de tenir des propos fort incongrus. Philis n'était pas femme à laisser passer de tels errements. D'un ton qui n'admettait pas de réplique, elle signifia à l'individu qui se montrait aussi mal poli l'ordre de disparaître immédiatement hors de sa présence. Thomas BUGEAUD marquis de la PICONERIE et Colonel d'Empire dût se lever de table et sortir de la salle à manger ... Dans cette famille, les femmes ont souvent une forte personnalité ...
Il ne me reste plus grand chose à dire des COUVRAT-DESVERGNES d'abord parce que mon témoignage n'est que de seconde main, ensuite parce qu'ils se installés à Paris depuis longtemps où le mode de vie est assez peu favorable aux rapprochements.
Je voudrais cependant évoquer la figure de l'oncle-abbé avec sa corpulence et sa barbe de missionnaire. Prêtre irréprochable, il se montrait volontiers truculent, se plaisant à effaroucher les dames pieuses par son vocabulaire mal embouché. Vivant chez son beau-frère, il était chargé par ses nièces de leur acheter leurs bas de soie et leur rouge à lèvres.
On pourrait penser, au survol de tous ces personnages, qu'il s'agit d'un tableau idyllique. En réalité, il y a eu, comme dans toutes les familles, des bons moments et d'autres qui le furent moins. La nature humaine est ainsi faite. Rien n'est vraiment rose. Mais à quoi bon rappeler quelques instants pénibles ou des difficultés de coexistence ? Paroles outrancières, jalousie affectives ou intéressées, attitudes agressives ou écarts de conduite ne sont que des scories qui doivent progressivement disparaître dans le grand brasier de l'Éternel Amour.
Jacques BOURLAUD : 17 Mars 1987