Amérique 🗽 - D’émigrés à réfugiés, les Français en Acadie

D’Emigrés à Réfugiés, les Français en Acadie - XVIIè-XVIIIè siècles : les Engagés

par Michèle Champagne

Au cours du XVIIe et du XVIIIe siècles, plusieurs milliers de Français s’installèrent en Nouvelle-France et en Acadie espérant une vie meilleure. Qui étaient ces émigrés français ? De quelle origine sociale étaient-ils ? Que sont-ils devenus dans la tourmente du "Grand Dérangement" qui marqua l’Acadie de 1755 à 1763 ? Nous tenterons de répondre à ces questions en suivant le parcours de certains d’entre eux, "illustres inconnus" dans une série d’articles que nous publions sur le site Histoire-Généalogie. C’est volontairement que nous mettrons de côté les personnages historiques dont les notices biographiques sont publiées dans les ouvrages de référence.

Le premier volet traite du profil de ces engagés.

Des expéditions à une politique coloniale

Au cours du XVIIe siècle, la France s’intéresse au commerce du bois, des fourrures, de la pêche dans les nouveaux territoires de l’Acadie. Fréquentées par les pêcheurs bretons, basques et normands, les côtes acadiennes étaient déjà explorées au XVIIe siècle ; les eaux côtières étant considérées comme les plus poissonneuses.

Pour développer ses activités commerciales, la France doit établir une présence permanente en Nouvelle-France et en Acadie. Une première installation de colons aura lieu en mai 1604, sous l’impulsion de Du Gua de Monts, à l’île Sainte-Croix, dans un lieu nommé « habitation de Port Royal » (située aujourd’hui en Nouvelle-Écosse). Cette première tentative de peuplement fut un échec en raison des conditions climatiques très dures et des épidémies qui ont anéanti la plupart des personnes que comptait l’habitation : sur 80 personnes, plus d’une trentaine moururent.

Le cardinal Richelieu donnera un second souffle à la politique coloniale en créant en 1627 la Compagnie des Cent Associés en Nouvelle-France et en Acadie [1]. Le développement du commerce exigeait une installation dans ces nouveaux territoires : des émigrés français, en provenance de la côte atlantique, embarquaient depuis les ports de La Rochelle, Rouen, Dieppe, Nantes, Bordeaux... pour peupler ce nouveau monde en espérant une vie meilleure.

Ces émigrés étaient catholiques et protestants. L’historiographie traditionnelle a inscrit pendant plus d’un siècle le mythe du fondement catholique de la Nouvelle-France. Les travaux de François-Xavier Garneau [2], puis, plus récemment, ceux de Robert Larin [3], démontrent la présence protestante en Nouvelle-Angleterre, en Nouvelle-France et en Acadie dès le XVIIe siècle : les protestants constituant (hypothèse minimale) environ 7 à 8 % de la population totale de la Nouvelle-France et de l’Acadie. Ainsi, nos ancêtres n’étaient pas tous catholiques...

Qui étaient ces émigrés français "illustres inconnus" venus en Acadie ?

Il s’agissait d’hommes en âge de travailler, la plupart célibataires, qui s’engageaient au service d’un colon, d’un marchand, d’une communauté religieuse ou d’un détachement de la Marine, pour une période de trois, cinq ou sept ans. La moyenne d’âge de ces engagés était de 25 ans, avec un léger écart entre l’âge moyen des ruraux et celui des urbains.

Quelques familles émigrèrent en Nouvelle-France ainsi que des orphelines (les femmes n’étaient pas toutes des Filles du Roy). Le recruteur avançait les frais de la traversée. Celle-ci durait deux à trois mois pour gagner l’Acadie. Un contrat d’engagement était rédigé par un notaire ou par le recruteur de la marine et précisait les conditions de la traversée, le travail à effectuer, les droits et les devoirs de chacun et les modalités de retour au pays. Certains payaient la traversée sur leur denier propre, il s’agissait alors de « passagers libres » qui n’étaient liés par aucun contrat d’engagement.

Les engagés étaient des agriculteurs, boulangers, domestiques, maîtres compagnons, apprentis, charpentiers « ordinaires » et de navires, matelots, soldats, laboureurs, manœuvres. Pour ces derniers, il s’agissait d’hommes pouvant abattre des arbres, façonner le bois, dresser une maison, manier la hache et la scie. Les métiers de maçons, d’arquebusiers, d’armuriers, de taillandiers et de serruriers, étaient assortis à celui de « soldats ». Dans les rolles de montre de la Compagnie Franche de la Marine, il n’est pas rare de voir pour chaque engagé l’appellation « soldat » suivie du corps de métier. A titre d’exemple, l’engagement de Charles Orillon (Aurillon) dit Champagne est désigné sous le titre de « soldat maçon ».

Selon le développement économique de l’Acadie et de la Nouvelle-France, certains métiers étaient plus recherchés que d’autres ; les agriculteurs, recrutés dans les premières années d’émigration, furent remplacés par la suite par des artisans. Entre 1632 et 1670, on dénombre 143 navires ayant quitté La Rochelle pour la Nouvelle-France et l’Acadie. Le dépouillement des minutiers Nantais de 1632 à 1732 recense 6 000 engagés ; une faible portion se dirigeait vers la Nouvelle-France, le reste étant pour les Antilles.

Le trafic maritime vers la Nouvelle-France démontre une régularité suscitée par les marchands rochelais agissant comme correspondants des premiers colons d’Acadie et de la Nouvelle-France : Emmanuel Leborgne, marchand catholique, originaire du nord de la France, exerçait un commerce de grains, de victuailles et de vins à destination de Port-Royal (Acadie). De même Jacques Pépin, marchand protestant, ravitaillait régulièrement Québec de 1656 à 1662. La Compagnie de la Nouvelle-France pour la côte d’Acadie, dirigée par Claude de Razilly (1634-1641), affrétait des navires chaque année pour fournir des vivres transportant à son bord des colons pour peupler l’Acadie.

Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. l’émigration française est estimée à environ 75 000 personnes pour la Nouvelle-France et l’Acadie. La période d’émigration la plus forte se situe entre 1684 et 1700, période qui coïncide avec les campagnes de recrutement militaire. Les régions de la Bretagne et du Sud-Ouest, comme celle du Centre-Ouest fourniront également des recrues. Si l’on compare avec la Nouvelle-France, l’Acadie restait toutefois une contrée sous peuplée : en 1710, l’Acadie comptait 1 700 personnes, la Nouvelle-France en dénombrait 16 000.

Une fois arrivés sur place, quelle était la vie de ces émigrés ?

Nous répondrons à cette question en suivant le parcours de quelques-uns dont celui du soldat maçon Charles Orillon (Aurillon) dit Champagne dans un prochain article.

Sources :

- Leslie Choquette, « De Français à paysans : modernité et tradition dans le peuplement du Canada Français », Québec : Septentrion, Paris : Presses de l’université de Paris Sorbonne, 2001

- Robert Larin, « Brève histoire du peuplement européen en Nouvelle-France », Québec : Septentrion, 2000.

Appel à contribution : pour compléter les informations sur le profil des émigrants, il serait intéressant de dépouiller les minutes des notaires de la Charente Maritime pour les périodes de 1664 à 1791. Toute personne pouvant apporter sa contribution à ce dépouillement est invitée à m’écrire.

[1] Giovanni da Verrazzano en 1524 parcourt la Floride jusqu’au Cap Breton (aujourd’hui Nouvelle-Écosse). Lorsqu’il atteint la région correspondant à notre époque à Washington D.C., Verrazzano nomme cette contrée « Arcadie », en référence à la cité grecque du Péloponnèse. Au fur et à mesure des découvertes des côtes et des contrées correspondant à ce jour au continent nord-américain, les navigateurs feront remonter l’Arcadie vers le nord-est. Le terme « Arcadie » sera remplacé sur les cartes par la désignation de « Cadie », puis par « Acadie ». C’est cette dernière appellation qui sera utilisée par la suite. L’Acadie correspond aujourd’hui aux provinces maritimes du Canada : Nouveau Brunswick, Nouvelle Écosse, Ile-du-Prince-Edouard.

[2] François-Xavier Garneau, « Histoire du Canada », Paris, Alcan, 1928. Lire la présentation de cet ouvrage : Michel Gaudette (historien), « Guerre de religion d’ici », in Journal Le Devoir, 26.07.2000, article publié sur le site internet : http://www.vigine.net/00-7/nf-gaudette.html

[3] Robert Larin, « Brève histoire des protestants en Nouvelle-France et au Québec (XVIè-XIXè siècles) », Québec, Ed. de la Paix, 1998.

Avec l'aimable autorisation de Michèle Champagne : http://www.histoire-genealogie.com/article.php3?id_article=826


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