Daniel Chauvigné ⌘ - Septième métier : militaire de carrière

Le 6 Novembre 1953, j'ai débuté mon métier des Armes au Quartier Donop à Nancy, dans la 52ième Compagnie de Réparation Divisionnaire d'Infanterie.

En tant qu'orphelin et compte tenu de mes spécialités techniques, j'ai eu le choix entre l'Arme du Génie et le service du Matériel. Le Génie étant stationné à Metz et le Matériel à Nancy, j'ai opté pour ce dernier car je réside à Nancy avec mon épouse.

Mon Chef de Corps, le Capitaine Melder, est un officier svelte et sportif et sa poitrine bardée de décorations démontre sa valeur de soldat au cours de ses faits d'armes pendant la dernière guerre. Cet homme sévère, mais juste, a réuni tous ceux de ma classe pour nous présenter nos chefs et nous dire ce que nous allons faire pendant nos 18 mois de service.

Après les traditionnelles formalités d'incorporation et les vaccinations obligatoires, nous avons effectué 3 mois de classes pour apprendre la hiérarchie des grades, nos devoirs et nos droits, le maniement des armes et une première spécialisation technique.

Cette formation initiale mit en valeur mes connaissances en technique automobile et mon habileté au tir, ce qui m'a valu d'être désigné pour suivre le peloton d'élèves gradés et d'être inscrit dans l'équipe de tir de la compagnie.

A l'issue du peloton j'ai été nommé Brigadier Chef et j'ai été fier de recevoir du Capitaine les galons à chevron bleus et blanc.

Dans l'équipe de tir présidée par le Capitaine Melder, qui est un remarquable tireur au pistolet, je me suis placé en tête des tireurs au fusil. Nous sommes équipés de fusils Mauser 7,92, récupérés à l'armée Allemande. Je connais parfaitement cette arme dont le mécanisme est le même que les Mauser de grande chasse, sa précision et la fiabilité en font des armes de concours remarquables.

Après les concours au niveau local, notre équipe a été retenue pour participer au concours Régional. Le Capitaine, au pistolet, moi au fusil, sommes sortis en tête de ce concours, ce qui a permis d'être inscrits individuellement au concours National.

Il est indispensable pour réussir à ce niveau de s'entraîner sérieusement, mais deux facteurs sont venus troubler cette préparation.

Le Capitaine Melder avec presque toute sa Compagnie a été muté en Tunisie où des troubles avaient lieu. Bénéficiant de ma situation d'orphelin, je suis resté à Nancy, ainsi que mes camarades soutiens de famille.

Le changement de l'armement individuel a également gêné ma préparation au concours National. A la place des Mauser nous avons été dotés de fusils Américains "Garant ". Cette arme moderne, semi-automatique, est plus adaptée au tir rapide mais avait une précision nettement moins bonne que nos vieux Mauser. D'autre part, le cran de mire du système de visée, est, sur le Garant remplacé par un œilleton ce qui oblige les tireurs d'élite réapprendre à viser. Avec cette arme j'ai obtenu de bons résultats en tirs de rapidité mais j'ai régressé en tir de précision ce qui a entraîné ma radiation pour le concours National.

Le Capitaine Paradeuc, un breton, a pris le commandement de la 52° R.D.I. dont l'encadrement en sous officiers de carrière a été sensiblement réduit. C'est pour cette raison que comme Brigadier Chef, je me suis vu confier le commandement de l'atelier auto, qui, antérieurement était commandé par un Adjudant Chef aidé de cinq sous-officiers.

Pour m'aider, je n'ai qu'un Brigadier et un 1° Classe pour encadrer le même effectif de 35 militaires du contingent. C'est une lourde responsabilité, mais grâce à mes métiers antérieurs où j'avais acquis des connaissances techniques et le sens du commandement, j'ai réussi à obtenir de mes personnels une bonne adhésion et un rendement acceptable.

Lorsque j'ai demandé à être détaché pendant 3 mois au Centre d'instruction du matériel de Metz pour suivre le peloton de Maréchal des Logis, mon Capitaine me répondit que cela n'était pas possible à cause de la diminution des effectifs d'encadrement. J'ai donc été obligé de me préparer tout seul pour me présenter en candidat libre à l'examen de sortie du peloton.

A l'issue de l'examen qui dura 3 jours, j'ai été nommé Maréchal des Logis du contingent le 1er Janvier 1955.

Ma classe étant libérée début Mai, j'ai fait une demande d'engagement dans mon grade, mais avec la fin de la guerre d'Indochine, un gros contingent de Brigadiers Chef ont été nommés Maréchaux de Logis dès leur retour en Métropole, ce qui a comblé le nombre de places réservé à ce grade. J'ai donc été obligé de m'engager comme Brigadier Chef le 1er Mai 1955.

A la fin de ce mois, ma compagnie est en manœuvres avec toute la Division d'Infanterie au camp de Mourmelon lorsqu'un soir, vers 22 heures, tous les Officiers et Sous-officiers sont convoqués par le Général qui leur a annoncé que dans 3 semaines toute la division partirait pour l'Algérie afin d'y effectuer des opérations de maintien de l'ordre.

La 52° C.R.D.I. s'est retrouvée regroupée au sein du 52° Bataillon de Services, commandé par un Colonel du Train. Placé dans l'équipe de tir de ce Bataillon, j'ai été remarqué par le Chef de Corps qui m'a convoqué. Il avait étudié mon dossier et s'est aperçu de ma dégradation au cours de mon engagement. En reconnaissance de mes résultats de tir et de la tenue de mon poste technique, il m'autorisa de porter les gallons de Maréchal des Logis. Bien que n'ayant pas la solde correspondante, cette faveur affirma mon commandement et m'encouragea dans la carrière des armes.

Dans la foulée, j'avais obtenu le Certificat Interarmes, épreuve difficile par sa complexité.

Le 5 Juin 1955, j'ai été désigné avec 5 hommes de troupe pour partir en détachement précurseur avec tout le matériel de la Division. Nous avons débarqué à Alger le 7 Juin après avoir effectué une agréable traversée maritime.

Notre mission consiste à débarquer le matériel, les divers approvisionnements, les munitions puis de les acheminer sur le camp de Rouiba situé à 10 kilomètres de la capitale algérienne. Aidés par les autres détachements des Corps de Troupe nous avons mis 8 jours pour effectuer ce travail harassant sous une chaleur torride provoquée par le siroco, vent chaud et sec venant du Sahara.

Le soir je pense, avec nostalgie à cette Afrique que j'avais espéré rejoindre en famille, alors que j'ai été obligé de laisser à Nancy mon épouse et mon fils Serge âgé de 9 mois...

Le 52° Bataillon des Services a été effectué à Tizi-Ouzou. Nous avons rejoint cette ville de la Kabylie en convoi routier. Pendant le trajet nous avons admiré la mer, au large d'Aïn Taya puis les immenses plantations d'orangers et les vignobles où les arbres, sous la surveillance des pieds noirs travaillaient en toute quiétude. Où sont donc ces fellagas qui, soit-disant sèment la terreur ?

Le bordj fortifié de Tizi-Ouzou est situé sur une colline qui surplombe la ville. Ceinturé de hauts murs d'enceintes, ce grand fort possède également un hôpital militaire qui sert aussi à la population civile.

Après avoir étudié les lieux, nos chefs ont réparti les emplacements des différentes Compagnies : La Compagnie de Circulation Routière occupe les secteurs Ouest et Sud matérialisés par leurs fanions verts et blancs. A l'Est, avec leur emblème grenat, s'installe la Compagnie Médicale. La Compagnie de réparation, sous les couleurs gris et bleu, s'implante au Nord. Tout ce mélange de couleurs, d'insignes et de boutons fait bon ménage et chaque Compagnie prend la garde et les différentes servitudes à tour de rôle en tenant compte des effectifs respectifs.

Le 14 Juillet, en présence des autorités civiles et militaires, nous avons défilé dans la ville ensoleillée sous les vivats de la foule.

Le lendemain, alors que j'essayais une automitrailleuse qui sortait de réparation, a 4 kilomètres de la ville un fellagha a tiré dans ma direction avec un fusil de chasse. Ayant tiré trop bas les plombs ont ricoché sur le blindage. L'homme de troupe qui m'accompagnait a visé le rebelle avec son pistolet mitrailleur, mais je l'ai empêché de tirer car nous n'avons le droit de nous servir de nos armes qu'en présence d'un gendarme. J'ai fait braquer le canon de l'automitrailleuse en direction de notre agresseur, ce qui l'a mis en fuite. J'ai fait demi-tour pour rejoindre le bordj où j'ai rendu compte de l'événement.

Quelques jours plus tard, sur la même route, quelques kilomètres plus loin, deux véhicules qui effectuaient un ravitaillement de vivres, sont tombés dans une embuscade. Il y eut 4 morts et 2 blessés.

C'est à la suite de cet attentat que l'ordre fut donné de tirer sur tout individu suspect muni d'une arme.

On assiste alors à l'escalade de la violence et bien que gardant toujours l'appellation de maintien de l'ordre, il fallait faire face à une véritable guerre subversive.

En plus de notre mission de réparation des matériels, de temps en temps, notre concours est demandé par l'Etat Major, pour renforcer des bouclages. Ces opérations d'encerclement sont généralement déclenchées sur renseignements donnés par des musulmans restés pro-français.

C'est suite à d'un des ces renseignements fournis par un Caïd de la ville, qu'une Katiba de fellaghas fut encerclée. De nombreux rebelles sont tués ou capturés mais quelques uns parvinrent à prendre la fuite. Le Caïd, craignant des représailles, a demandé la protection des militaires. C'est ainsi, qu'avec toute sa famille, il est venu loger à l'intérieur du bordj pendant 2 mois. Le secteur étant devenu calme, il a été décidé que le Caïd et sa smalah rejoignent leur domicile. Dans la nuit, ils ont tous été égorgés et les fellaghas ont laissé sur la porte de leur gourbi un manuscrit sur lequel en arabe et en français on pouvait lire " Mort au traitre ".

De tels actes, souvent répétés, ont rendu muets les dénonciateurs éventuels. Insidieusement, les rebelles imposaient leur loi, plus par la terreur que par la foi islamique ou patriotique.

Le djebel caillouteux met à rude épreuve la mécanique et notre Compagnie est employée à plein temps pour que les Corps de Troupe conservent leur capacité opérationnelle.

J'ai suivi une formation spécialisée sur la réparation des nouvelles Jeep Delahaye dont est dotée l'Armée et le temps d'une inspection, j'ai été sollicité pour contrôler ce type de matériel au sein des Corps de troupe de la région. Ainsi, pendant un mois, avec le Colonel Cecoq, inspecteur du Service du Matériel, et un adjudant-chef spécialiste sur engins blindés, j'ai sillonné toutes les routes de l'algérois.

A Aïn Taya, après avoir terminé le contrôle des matériels d'un Régiment de Dragons, et ne devant poursuivre notre périple que le lendemain, le Colonel Cecoq a décidé que l'on irait se baigner, l'après-midi au large d'une plage sauvage qu'il avait repérée à l'extérieur de l'agglomération.

Le Colonel s'est très peu baigné, puis il dit à son chauffeur de lui remettre son pistolet mitrailleur pour nous protéger et qu'il aille nous rejoindre dans la mer. On s'est laissé porter par les petites vagues en appréciant la douce température de l'eau et lorsque nous sommes parvenus à 200 mètres de la plage, nous avons fait demi-tour, mais très vite nous nous sommes aperçus que le courant nous repoussait vers le large. Nous avons forcé en vain nos efforts. Finalement c'est en progressant en biais vers un ancien fort que nous sommes parvenus, après une heure d'efforts, à rejoindre le sable blond de la plage. Le Colonel qui ne comprenait pas pourquoi nous étions partis si loin nous faisait des grands signes pour que nous rentrions. Fourbus, nous l'avons rejoint après avoir contourné le fort.

Le soir, au mess, nous avons raconté aux militaires du secteur notre mésaventure. Sidérés ils nous ont expliqué que cette plage est interdite à cause des contre-courants mais également parce qu'à proximité du fort existaient des sables mouvants !...

En revenant à Tizi-Ouzou, j'ai appris que le Capitaine Paradeuc avait été rapatrié sanitaire et qu'il a été remplacé par le Capitaine Tibon.

Autant notre ancien chef était grand coléreux et lunatique, autant celui-ci était petit, calme et plein de bon sens. Ce contraste a été d'autant plus bénéfique pour la Compagnie que le Capitaine Tibon s'est montré un remarquable organisateur.

Le 14 Août 1955, ce Capitaine m'a annoncé ma réintégration au grade de Maréchal des Logis. Le soir comme le veut la tradition, j'ai offert une tournée générale à tous les officiers et sous-officiers de la Compagnie. L'accès au mess m'était de nouveau autorisée et j'ai même eu droit à une chambre individuelle avec un mobilier adapté.

Le lendemain, il y eut une manifestation collective de la population musulmane, fomentée par les fellaghas.

Prévenus par le Service de Renseignements, nous étions prêts à nous défendre, mais à la vue de la foule montant la colline, avec les femmes et les enfants aux premiers rangs, un sentiment de panique s'est emparé de nous. C'est alors qu'à l'aide d'un porte voix, le Colonel s'est adressé à la foule hurlante, pour l'exhorter à rentrer calmement chez elle, mais la progression a continuée.

Selon un plan prévu à l'avance, quelques sous-officiers anciens d'Indochine, ont tiré au-dessus des têtes à la mitrailleuse et au fusil mitrailleur. Ce déluge de feu a semé la panique parmi les manifestants qui se dispersèrent en courant.

Le Colonel a félicité les tireurs car personne avait été touché par les tirs rasants. Puis il donna des ordres pour renforcer la garde.

Notre Compagnie a été désignée pour aider les gendarmes à faire ouvrir, manu militari, les boutiques des commerçants arabes.

Cet échec à la subversion rebelle, a été un succès psychologique important pour nous et pendant quelques mois le secteur Kabyle est resté calme.

Quelques jours plus tard, une équipe formée d'un Adjudant, d'un Maréchal des Logis, de 15 hommes de troupe et de moi-même, a été désignée pour aller renforcer techniquement un Régiment de Tirailleurs Sénégalais stationné à Akbou, en haute Kabylie. Notre colonne composée d'une Jeep, d'un Dodge et de 3 G.M.C. a pris d'abord la route en direction de l’Établissement régional du Matériel à Alger où nous avons des approvisionnements à percevoir. Le lendemain nous sommes partis à Bouira en passant par les célèbres gorges de Palestro. Ces gorges sont un site grandiose. Sur 10 kilomètres la route serpente le long d'un oued partiellement asséché et, sur notre droite, une falaise abrupte de 200 mètres de hauteur donne une impression d'écrasement et un sentiment de panique, tant ce lieu est propice à une embuscade. Nous n'avons pas d'escorte blindée ni de couverture aérienne, aussi n'avons nous été rassurés qu'à la sortie de ce passage. En fin d'après-midi nous sommes arrivés à Bouira où la 2° Section de notre Compagnie est stationnée dans une gare désaffectée. Nous avons été très heureux de retrouver le Lieutenant Balou et des camarades que nous n'avions pas vus depuis le début de la campagne. Après une bonne soirée où nous avons raconté nos aventures respectives, nous avons été dormir sur nos lits picots.

Le lendemain notre convoi est parti vers Akbou que nous avons atteint dans la soirée. Akbou est un petit village kabyle au pied du Djudjura, haute montagne aux cimes enneigées l'hiver. Le petit bordj à mi-pente entre le village et la montagne n'a pas la place de nous accueillir à l'intérieur de ses murs et nous avons dû installer notre campement à l'extérieur, sur une esplanade dénudée. Cette position nous oblige à monter la garde la nuit et le jour nous réparons les véhicules des biffins. Il fait très chaud et il pleut souvent. Sous les tentes nous avons perché nos lits picots sur des caisses de munition vides pour nous isoler de l'humidité. La mauvaise étanchéité de la tente nous oblige à mettre nos imperméables sur les couvertures, cela créait un manque d'évaporation et le matin les draps sont moites. Quelques mécaniciens noirs ont été mis à notre disposition pour nous aider. L'un d’eux est Centrafricain, nous avons été très heureux de converser en Sango, au grand étonnement de mes camarades. Ancien d'Indochine il m'a raconté les combats qu'il avait fait dans ce pays, m'en vanta le paysage et les accueillantes congaïs... Ici, c'est pas bon, comparait-il ; il y a très peu d'accrochages avec les fellaghas qui nous entendent venir de loin avec nos Half-tracks et puis en village, il n'y a pas de femmes comme en Indo.

Après avoir passé 3 mois dans ce lieu désolé nous avons rejoint Tizi-Ouzou sous une pluie battante.

Dès mon retour, j'ai obtenu une permission de 3 semaines. Par avion militaire j'ai rejoint Marseille, j'ai pris le train pour Nancy, où j'ai retrouvé avec joie mon épouse et mon fils. Celui-ci avait beaucoup changé et ne me reconnaissait plus. Je l'ai pris dans mes bras, et lorsque mon épouse lui dit : où est ton papa ? Serge a montré ma photo qui est dans un cadre posé sur la cheminée du salon !...

Outre le danger inhérent au militaire en opération, les séparations familiales sont dures à supporter, il faut une abnégation et un moral à tout épreuve pour aimer le métier des armes tout en conservant l'attachement matrimonial.

Après 3 semaines heureuses, mais trop rapides j'ai pris le paquebot " Ville d'ALGER " pour repartir vers le soleil, l'aventure et l'incertitude

Dès mon arrivée à Tizi-Ouzou, j'ai appris que la Compagnie se préparait à regagner Gelma, lieu de sa future implantation.

C'est en un long convoi, à la limite de la surcharge, que nous avons pris la route via Sétif et Constantine.

" Tizi " notre mascotte, un petit chien kabyle, fait partie du voyage. Cet animal, au pelage ras de couleur jaune-ocre, a une queue en tire-bouchon rappelle un peu les chiens Bassendji d'Afrique noire.

Lors de la halte à Sétif, le chauffeur du Wreker de dépannage trouva un jeune chien loup abandonné et lui donna à manger. Dès cet instant le petit animal ne quitta plus son maître adoptif et fit fête à Tizi, venu renifler l'intrus. Attendri par la scène, le Capitaine a accepté que "volf" soit recueilli, mais il nous dit que se serait le dernier car il ne tenait pas que la Compagnie soit transformée en ménagerie.

Après avoir traversé la grande ville de Constantine et son célèbre pont suspendu, puis les imposantes gorges de fer, nous avons pris nos quartiers dans le grand bordj de Guelma, au pied des monts Guégar. Guelma est une ancienne ville Romaine fortifiée où il subsiste encore de nombreux vestiges et en particulier un théâtre en plein air qui a une acoustique remarquable.

La section principale de la Compagnie est restée dans cette ville, tandis que la 1° section a été à Bône et la 2°, dont je fais partie, a rejoint Souk-Ahras, une petite bourgade située à 10 kilomètres de la frontière Tunisienne.

Notre petit bordj est planté sur une petite colline qui surplombe l'oued à la périphérie de la ville. En sous-sol, il possède des caves où sont stockées toutes les réserves en munitions du secteur.

Notre section est commandé par le Lieutenant Fallou, un ancien de la dernière guerre, trépané à la suite d'une blessure, ce qui lui occasionne parfois de légers troubles neurologiques. Le Maréchal des Logis Chef Dalibert, le Maréchal des Logis Samarque et moi complétons l'encadrement des 40 hommes de troupe du contingent de la section.

Notre faible effectif nous impose de lourdes contraintes de gardiennage. D'autre part, nous devons assurer le soutien technique de 2 gros Corps de Troupes : le 153° Régiment d'Infanterie Motorisé et le 8° Régiment de Dragons. Les biffins occupent le grand bordj à l'entrée de Souk-Ahras et les dragons sont au quartier Tifech en plein centre ville.

Adjoint au chef de l'atelier auto-chars, je suis responsable de l'essai des véhicules sortant de réparation et chef de l'équipe de dépannage lourd de la garnison. Lorsque ces dépannages ont lieu hors zone de la garnison, je suis escorté par un ou deux engins blindés à roues (automitrailleuses du 8° R.D. ou half-tracks du 453° R.I.M.

Pour mon premier dépannage, mon équipe a été chercher trois véhicules qui ont été incendiés à 20 kilomètres de la ville, après être tombés dans une embuscade. Presque tous les militaires de ce petit convoi ont été tués et les blessés ont été atrocement achevés par les rebelles. Seul un Adjudant-chef, blessé au bras, a réussi à échapper au massacre et est parvenu à DoukAhras où il a donné l'alarme.

Lorsque nous sommes arrivés près des véhicules, qui fumaient encore, les ambulanciers ramassaient les morts, affreusement mutilés et égorgés par les fellaghas. C'était horrible à voir et par-dessus la nausée que nous ressentons un sentiment de vengeance aveugle prit tous ceux qui étaient présents.

C'est à la vue de telles atrocités que naissent les représailles, les prises d'otages et les tortures ! Trois fléaux qui transforme la guerre en tuerie aveugle et l'homme en bête immonde !...

Le 11 Novembre 1955, vers 21 heures, alors que nous fêtons la victoire de la Grande guerre, nous avons été attaqués par un groupe de rebelles qui s'est infiltré par l'oued, partiellement asséché. Les sentinelles ne se sont pas laissé surprendre et dès les premiers coups de feu, toute la Section s'est précipité sur les emplacements de défense. Le groupe d'intervention du 153° R.I.M. est rapidement, venu nous prêter main forte et leur radio nous annonça qu'il venait de recevoir un appel des gendarmes mobiles stationnés en contrebas à 500 mètres de nous. Ils étaient sous le feu d'une arme automatique, qui tirait de notre bordj.

Pensant qu'un fellagha avait réussi à percer notre défense, je me suis précipité avec 2 hommes de troupe, vers le lieu désigné, pour trouver une de nos sentinelles, prise d'une crise de démence, qui tirait n'importe où avec son fusil-mitrailleur... Il fallu employer la force pour désarmer le forcené, le ligoter et l'emmener à l'infirmerie.

La pente boisée, qui descend sur l'oued, offre une certaine protection aux rebelles et il fallut l'utilisation de grenades défensives et exercer un tir intense pour mettre en fuite nos assaillants après une heure de combat.

Le lendemain, le médecin a dit à notre officier que le malade que nous lui avions amené dans la nuit, avait déraisonné suite à une crise de delirium tremens. Deux jours plus tard cet homme est revenu prendre son service. Il nous a expliqué que son père et son frère sont mort de delirium éthylique et que craignant l'hérédité, il ne buvait jamais d'alcool. Le soir du 11 Novembre il avait accepté, sous la pression de ses camarades, de boire une 1/2 coupe de champagne ; mais le médecin lui avait affirmé que c'était surtout l'émotivité crée par le baptême du feu plutôt que l'alcool qui avait déclenché sa crise. Quelques mois plus tard, cet homme a récidivé dans des circonstances analogues, il a été réformé et renvoyé dans ses foyers.

A Souk-Ahras, en un an, nous avons été attaqués une dizaine de fois, mais nous n'avons jamais été pris au dépourvu pour deux raisons : La première provenait, indirectement, d'un arabe qui logeait avec sa femme et ses deux filles dans un petit blockhaus désaffecté situé à 50 mètres à l'extérieur de nos barbelés. Nous nous étions aperçus que son bourricot et ses 2 moutons couchaient toujours dehors la nuit, alors que les soirs précédant une intrusion il rentrait toujours son bétail... Il nous suffisait de renforcer subrepticement la garde.

La deuxième raison, venait du fait que notre roquet Tizi dormait le jour et, la nuit, il tenait compagnie aux hommes de garde à l'extérieur. Ce chien qui avait en horreur les arabes, sans doute pour avoir été rossé par eux pendant sa jeunesse, aboyait furieusement dès qu'il en reniflait un à 100 mètres !...

Bien protégés par le piton et nos emplacements de combat, nous n'avons jamais eu de victimes. Après les attaques, nous allons dans le ravin rechercher les rebelles blessés ou tués mais nous n'en trouvons jamais ce qui est très déprimant. En effet, avant de se retirer, les fellaghas emmènent toujours leurs tués ou blessés et récupèrent leurs armes. Dans l'obscurité, ils ont vite fait de regagner la frontière toute proche et se réfugient en Tunisie. Seuls des lambeaux de chair et des traces de sang prouvaient l'efficacité de notre défense.

Un soir, le lieutenant Fallou décida, qu'à la nuit tombée, nous irons tendre une contre-embuscade aux rebelles dans l'oued, Le Chef Dalibert, lui a demandé s'il avait prévenu les gardes mobiles, les supplétifs et l'infanterie de l'air qui était sur le trajet que nous devions emprunter. Le Lieutenant lui a répondu, sèchement qu'il connaissait son métier !

Il prit la tête du groupe de 12 hommes encadré par le Chef et moi-même. Fortement armés, nous avons noirci nos visages et les mains et revêtus nos combinaisons bleu-foncé de travail. Ainsi camouflés nous avons franchi sans encombre les deux premiers postes, mais arrivés le long des berges de l'oued, près de l'infanterie de l'air, une sentinelle nous a entendu et, sans sommation, nous a tiré dessus avec son fusil ! Nous nous sommes jetés à plat ventre et avons crié le mot de passe. Le tir s'est arrêté et après s'être fait reconnaître, notre chef de section a donné l'ordre de repli, car tout effet de surprise était éventé.

De retour au bordj, le chef Dalibert, très en colère, a demandé des explications au lieutenant. Celui-ci lui a répondu que s'il avait prévenu tous les postes, il y aurait eu des fuites et les fellaghas ne seraient pas venus !...

Très souvent, le soir, lorsque tout le monde se détendait en se promenant dans les rues de la ville, des petits groupes de rebelles lancent des grenades dans la foule. De nombreuses personnes sont tuées ou blessées et il s'ensuit une panique générale. Au cours d'un de ces attentats, poussé par la foule apeurée je me suis retrouvé assis sur un comptoir de bar !

Un autre soir je jouais au billard avec un camarade, dans un café nommé " au retour de la chasse", lorsqu'une grenade a brisé une vitre et roulé sur le sol. Toutes les personnes présentes se sont jetées à plat ventre, en attendant l'explosion. La grenade était à un mètre de moi et je me suis aperçu qu'elle n'était pas dégoupillée ! Je l'ai ramassée en rassurant tout le monde et avec mon copain, je me suis précipité à l'extérieur du bar. Il n'y avait personne sur la place et sur le trottoir un jeune arabe s'enfuyait. Nous l'avons poursuivi et capturé, puis nous l'avons amené au poste de police situé de l'autre côté de la place. Un commissaire nous a reçu et je lui ai fait part de mes soupçons. Il demanda la carte d'identité de l'arabe. Il avait dix huit ans et il était en règle.

- "Est-ce toi qui a lancé la grenade ?"

- "NON "

- "Pourquoi courrais-tu ?"

- "Parce que je voulais rentrer chez moi avant le couvre-feu."

Devant cette logique et notre manque de preuves le jeune arabe a été relâché.

J'ai remis la grenade à l'artificier du bordj. Trouvant qu'elle avait un poids anormalement élevé pour une grenade offensive, il a desserti les deux parties du corps de l'engin. A l'intérieur il y avait plein de grenaille. Il m'assura que si elle avait été dégoupillée il n'y aurait eu aucun survivant dans le café !

En juin 1956, j'ai fait une demande pour passer le brevet de pilote d'hélicoptère, mais mon nouveau Commandant d'Unité m'en a dissuadé. Encore jeune en service je n'ai pas osé faire front et maintenir ma demande. Par la suite, je l'ai regretté car tous ceux qui avaient obtenus ce changement d'Arme ont eu un avancement beaucoup plus rapide, un salaire nettement plus élevé et des annuités pour heures de vol permettant d'avoir une retraite complète au bout de seulement 15 ans et 6 mois de service. D'autre part, cette spécialisation, à moins de 40 ans d'âge, permit à beaucoup de ces retraités de se recycler dans la civil avec une très bonne rémunération.

Début décembre de la même année, je suis parti, avec mon équipe de dépannage et un camion de pièces de rechange, en soutien technique opérationnel du 8° R.D. pour une opération militaire dans la région de Lamy. Cette mission qui, initialement était prévue pour huit jours a durée un mois. La frontière électrifiée entre l'Algérie et la Tunisie n'était pas encore en place et les fells font des incursions fréquentes dans la région de Lamy, Le TArf et la Cheffia.

La mission du 8° R.D. consiste, avec l'appui du 8° Régiment d'Artillerie et les parachutistes du 2° R.E.P., à encercler les troupes de rebelles pour les anéantir. Avec l'aide des harkis, ils fouillent également le terrain pour découvrir les caches d'armes et de munitions, ainsi que les grottes et abris utilisés par les fellaghas.

Plusieurs accrochages sérieux ont eu lieu avec un certain succès pour nos troupes. Suite à son utilisation intensive sur les terrains rocailleux et poussiéreux, le matériel est soumis à rude épreuve, aussi mon équipe est très sollicitée pour entretenir et réparer les véhicules et l'armement dans les meilleurs délais. Nous travaillons jour et nuit avec des moyens de fortune, par un temps froid et souvent pluvieux et nous dormons très peu.

Une nuit, le radio du 8° R.D. a reçu un appel à l'aide d'un poste de garde d'une batterie du 8° R.A. stationné au barrage de Béna-Moussa. La Batterie est en mission avec nous, seuls 10 hommes sont restés pour garder leur camp et ils sont attaqués par un groupe de rebelles commandés par un légionnaire déserteur. Avec des half-tracks et un char M.24 nous sommes partis à leur secours. Nous avons mis une heure pour parcourir les 40 kilomètres qui nous séparaient d'eux. En nous entendant arriver les fells ont décroché, les artilleurs étaient à bout de munitions et sans notre venue, ils auraient succombé. La nuit noire ne permettant pas de poursuivre les rebelles, une opération d'encerclement, avec l'appui des paras a été déclenchée dès l'aube. Pendant 2 jours les troupes ont ratissé le terrain avec l'apport d'avions de reconnaissance et d'hélicoptères, mais les fugitifs avaient réussi à rejoindre leur base en Tunisie.

Le troisième jour, le secteur étant redevenu calme, le capitaine, commandant la Batterie du 8° R.A. demanda des volontaires pour aller faire une battue au sanglier afin d'améliorer l'ordinaire. J'ai participé à cette chasse avec le capitaine et 12 sous-officiers. Nous sommes partis au petit jour avec un harki comme guide, armé de fusils de chasses récupérés aux fellaghas. Après une marche d'une vingtaine de kilomètres, nous venions d'entrer dans le sous-bois touffu d'une forêt, lorsqu'on entendit parler en arabe sur le sentier qui montait vers nous et longeait la forêt. Nous nous sommes mis à plat ventre à l'abri du feuillage et nous avons vu arriver 3 rebelles qui discutaient calmement en marchant. Nous les avons ajustés, mais le Capitaine nous a fait signe de ne pas tirer. Les 3 hommes sont passés à 20 mètres de nous sans déceler notre présence. C'est alors que l'on a vu surgir, en file indienne, une centaine de fells fortement armés, qui sont passés également sans nous voir. Sans la présence d'esprit du Capitaine, qui avait deviné que les 3 premiers étaient des éclaireurs de pointe, nous aurions engagé un combat inégal qui nous aurait été fatal !

Aussitôt nous sommes partis en courant vers le camp et une opération héliportée a été immédiatement déclenchée. Les rebelles, encerclés, n'ont pas pu se replier en Tunisie et la bande a été entièrement décimée.

Dès notre retour à Lamy, on me demande d'aller, sur la route du col, chercher un Half-track en panne. L'automitrailleuse qui assure ma protection est partie loin devant pour faire " l'ouverture de route". Mon Wrecker 10 tonnes de dépannage, conduit par un chauffeur du contingent, grimpe lentement la côte. Peu avant d'arriver à un virage sans visibilité, j'ai vu s'abattre la cime d'un arbre de l'autre côté du tournant. J'ai donné l'ordre à mon chauffeur de stopper immédiatement le lourd véhicule et de venir se mettre à l'abri derrière lui. Ses deux camarades qui étaient à l'arrière venaient juste de nous rejoindre lorsque la rafale d'arme automatique a fait voler en éclats notre pare brise. Les coups sont tirés de la plate-forme qui surplombe le virage. Nous ripostons avec notre fusil mitrailleur, mais nos assaillants sont protégés par les troncs des chêne-liège qui boisent la montagne. C'est alors que j'ai eu l'idée de laisser mes trois hommes à l'abri du Wrecker et de me faufiler par le ravin pour contourner nos agresseurs et arriver derrière eux. Abrité par les arbres, ils ne m'ont pas vu arriver. Je savais qu'ils n'étaient pas nombreux car une seule arme tirait sur nous. En effet, il n'y avait que 3 hommes qui tiraient avec un fusil mitrailleur Tchèque. J'ai envoyé dans leur direction une grenade défensive qui en explosant en tua 2 et blessa le troisième qui tourna son arme vers moi. Je l'ai achevé avec mon pistolet. J'ai alors récupéré l'arme, la sacoche de chargeurs et les 3 casquettes de rebelles, puis suis redescendu vers mon équipe qui n'entendant plus tirer, attendait mon retour. L'automitrailleuse dont les servants avaient entendu les coups de feu a fait demi-tour pour revenir rapidement nous défendre en balayant le flan de la montagne d'obus à fragmentation.

Après avoir changé un pneu du Wracker qui avait été crevé par une balle, nous avons dégagé la route en faisant basculer l'arbre dans le ravin, puis nous avons été effectuer notre dépannage.

Dès notre retour à Lamy, le Chef d'escorte a rendu compte de l'événement au Capitaine De H.. qui commande le 8° R.D. Celui-ci m'a convoqué pour me féliciter et me dire qu'il allait me proposer pour l'obtention de la valeur militaire.

Hélas, le lendemain, dans le secteur de Munier, ce Capitaine fut tué à la tête de ses hommes. C'était un soldat brave, courageux, toujours en première ligne et il était adoré de tous. Sa mort causa un désarroi amplifié par le nom glorieux qu'il portait...

Avec le 8° R.D. j'ai rejoint Souk-Ahras et un mois plus tard j'ai reçu de la Division un témoignage de satisfaction élogieux pour ma participation au soutien du matériel pendant l'opération. Cela ne valait pas la citation et la décoration promise, mais je n'ai pas osé aller la réclamer au successeur du Capitaine De H..

Par trois fois en quelques mois, j'ai été avec mon équipe de dépannage relever les Wagons de minerai et les locomotives que les rebelles font dérailler dans la région de Oued Kéberit, non loin des mines de fer de Ouenza.

Protégé par une section d'infanterie et assistés par les spécialistes des Chemins de Fer Algériens, nous en avons pour deux ou trois jours, à chaque fois, pour tout remettre en état.

Un soir, harassé par 12 heures de travail, sous une forte chaleur, je me suis endormi dès le dîner fini. Le lendemain mon chauffeur de Wracker est venu me réveiller et m'a dit :

- "C'est la première fois que, lors d'une attaque de nuit, vous ne venez pas faire le coup de feu avec nous !"

J'ai cru à une farce de sa part, mais à la vue de nos tentes perforées par les balles je me suis rendu compte qu'il me disait la vérité. C'est ce qu'on appelle avoir le sommeil de plomb !

En février 1957, j'ai été détaché à l'école supérieure de service du matériel de Bourges pour effectuer un stage du Brevet élémentaire du 1° Degré Auto chars avec une option d'électromécanique.

Afin d'être plus près de ma famille, mon épouse et mon fils se sont installés chez mon grand oncle à Joué les Tours, ainsi je pouvais les retrouver tous les week-ends.

J'ai réussi ce stage avec mention et il m'apporta le C.A.P. de mécanicien que je n'avais pas eu la possibilité d'obtenir lors de mon apprentissage dans cette spécialité en A.E.F.

A l'issue du stage, j'ai rejoint, début septembre 1957, le port de Bône, en Algérie avec le paquebot " Charles Plumier ".

Bône est une très belle ville où il fait bon vivre car les attentats y sont peu nombreux. Ne prenant le train que le lendemain matin pour rejoindre Guelma, je me suis rendu à la 1° Section de ma compagnie, stationnée à Bône, pour y passer la nuit. J'ai été accueilli par le Lieutenant Deroux qui m'a annoncé que j'étais pressenti pour être affecté dans sa section comme Chef d'Atelier Auto char. Très heureux d'apprendre cette nouvelle j'ai écrit le soir même à mon épouse pour lui dire que j'allais pouvoir la faire venir avec Serge à Bône, où nous pourrions vivre en famille.

Le lendemain, à Guelma, mon Commandant d'Unité m'a dit qu'il avait changé et qu'il me conservait à la portion Centrale de Guelma pour y exercer les fonctions de Chef du Bureau d'Ordonnancement en remplaçant d'un Major qui venait d'être muté en France.

Guelma est une zone d'insécurité qui ne me permet pas d'y vivre en famille et le travail de bureaucrate que l'on me propose m'est particulièrement inconnu. J'en ai fait part à mon Capitaine mais il n'a pas changé d'avis. J'ai de nouveau écrit à mon épouse qui, comme moi a déchantée et a dû continuer à supporter cette longue séparation.

Cette nouvelle fonction est cependant captivante et demande une faculté intellectuelle faisant appel à la mémoire. D'autre part ayant à traiter avec les échelons supérieurs, je ne suis plus un anonyme perdu dans un atelier et ma notion est plus en rapport avec ma valeur.

Ma Compagnie soutient le 2° Régiment d'Etrangers Parachutistes commandé par le glorieux Colonel Dampiere. Ce Régiment a effectué de nombreux combats dans la région et a eu dans ses rangs de nombreux morts et blessés mais il "nettoya" efficacement le secteur. Malheureusement, le Colonel a été tué lors d'une de ces opérations

Enfin en mars 1958, mon séjour en Algérie s'est terminé et j'ai reçu un ordre de mutation pour la 18° Compagnie de Réparation de Division Blindée stationné à Lebach, en Sarre.

Cette grosse unité, commandée par le Capitaine Bertin est dans un quartier neuf, très moderne et particulièrement bien adapté pour notre mission. De nombreuses villas et appartements sont réservés pour les cadres, dans un décor de massifs fleuris et d'espaces verts bien entretenus. Nous sommes les seuls militaires de la garnison et la population Sarroise est très accueillante. Une fois par mois nous organisons un bal où sont invités tous les notables de la ville. Lebach est une petite ville noyée dans la verdure, loin des fumées des grandes sidérurgies de la Sarre. Elle possède six boites de nuit où, tous les week-end, des bourgeois aisés de Sarrebruck, Sarrelouis et st.Wendel, viennent passer du bon temps. En semaine, toutes les call-girls, désœuvrées, invitent gratuitement les militaires français ce qui, petit à petit, a transformé la garnison en un petit Clochemerle ! Il y a eu sept divorces parmi les 21 sous-officiers de la Compagnie !

Affecté à l'atelier de 2° Echelon-Transports, j'ai également la charge du dépannage de la garnison et l'entretien des véhicules stockés. Mon prédécesseur avait porté une grande attention à l'entretien des véhicules mais il avait délaissé la comptabilité et le suivi des articles de dotation. Mon premier travail fut donc de rattraper le retard accumulé dans ces domaines, puis j'ai réorganisé l'atelier et guidé mes personnels dans leur emploi.

Six mois plus tard, j'ai été désigné pour aller suivre, à l'école de Bourges un stage de spécialisation sur char Patton et sur char de dépannage M.74. Cette spécialisation qui a durée deux mois m'a passionné car elle m'a apporté des connaissances élevées en mécanique, électricité et hydraulique.

Le 24 janvier 1959, ma famille s'est agrandie avec la naissance de notre fille Edwige. Serge a quatre ans et demi ; c'est le choix du roi et nous sommes très heureux.

Nous avons de nombreux amis et en plus des piques niques dans les forêts voisines, je passe mes loisirs à bricoler, pêcher la truite ou à ramasser des champignons. Souvent nous allons passer le week-end chez mes beaux-parents à Villerupt. Je les aime beaucoup car ils me traitent comme un fils et ils remplacent efficacement mes parents disparus trop tôt.

Mon travail est agréable et entrecoupé d'activités sportives. Je suis en effet capitaine de l'équipe de football de la Compagnie et arbitre militaire de ce sport. A ce titre j'ai arbitré de nombreux matchs du tournoi des forces Françaises en Allemagne.

En février 1960, je suis retourné à l'école du Matériel pour y suivre le 2° Degré de mécanicien Auto-Chars. Ce stage est très compliqué mais très bien dispensé par des instructeurs de valeur. Le logement est vétuste, il n'y a pas d'eau chaude dans les lavabos et pas de douche. Il fait très froid et nous sommes rationnés en combustible si bien que certains font des " commandos " la nuit pour aller " récupérer " du charbon dans l'enclos grillagé, après avoir fabriqué un passe pour ouvrir la porte d'accès... Toutes les routes et chemins intérieurs de cette école sont pavé et une fois par semaine, les stagiaires sont embauchés pour arracher l'herbe qui pousse entre ces pavés. Cette corvée, se complétait par l'épluchage des légumes et les différents travaux d'entretien des locaux. Tout cela s'exécute dans la bonne humeur malgré notre position de Sous-officiers car les hommes de troupe, peu nombreux, ont fort à faire également.

Le 19 août 1960, je suis revenu à Lebach avec mon brevet et j'ai demandé à mon Capitaine de m'octroyer une place de chef d'Atelier Auto ou Char correspondant à mes diplômes techniques. Il s'est alors posé pour lui un cas de conscience car ces deux ateliers sont dirigés par deux Adjudants qui ne possèdent que le 1° Degré mais qui sont plus anciens et plus gradés que moi. Il choisit donc un compromis en m'attribuant la place de Chef du Bureau d'Ordonnancement Central. C'est ainsi que j'ai repris la fonction que j'exerçais lors de ma fin de séjour en Algérie.

Suite au rattachement de la Sarre à l'Allemagne, notre quartier a été remis à un Régiment de Parachutistes Allemand et ma Compagnie s'est repliée sur Trèves, en Allemagne. Elle changea d'appellation et devint la 1/155° Compagnie Légère de réparation du Matériel. Sa portion centrale est stationnée au quartier Castelforte, près du centre ville, alors que les ateliers, le service des approvisionnements et l'ordonnancement central sont à 7 kilomètres, en périphérie de la ville, dans le quartier Feyen.

Je me suis inscrit pour suivre les cours par correspondance pour préparer une école d'officier d'Active et entrer par concours à l'école du Mans où pendant un an des cours sont dispensés en vue de l'obtention du concours final.

En 1959, 60 places avaient été retenues pour l'entrée au Mans et le dernier avait 8/20 de moyenne.

Après neuf mois de labeur où pendant mes heures de loisirs, j'ai travaillé jusqu'à trois heures du matin, je me suis présenté au concours, mais j'avais de grosses lacunes en chimie et je n'ai pas été reçu malgré une moyenne de 12,02/20. Cette année, seules 40 places ont été retenues, dont cinq pour des stagiaires étrangers, ce qui a élevé la moyenne et le dernier reçu avait 12,50/20.

Déçu et fatigué, je n'ai pas représenté ce concours l'année suivante, mais cette préparation a élevé ma valeur intellectuelle et cela m'a servi par la suite.

Le 1 juillet 1961, j'ai été nommé Maréchal des Logis Chef, grade très rechercher à l'époque car il apportait la fin des servitudes de garde et de semaine.

Un mois plus tard, mon Unité a été dissoute et ses cadres dispersés ; c'est ainsi que j'ai été affecté à la 501° Compagnie Renforcée de Réparation du Matériel, stationnée au quartier Casteforte, où j'ai conservé mes fonctions de Chef de l'Ordonnancement Central.

Peu après cette mutation, j'ai été détaché, pendant un mois, au centre d'Instruction de Division Blindée de Trèves pour remplacer l'Instructeur de conduit des chars de dépannage, qui avait été hospitalisé. Je connaissais très bien ce char pour l'avoir étudié en détail à l'école de Bourges et pour m'en être souvent servi pour exécuter des dépannages lourds pendant les manœuvres. Ce remplacement consiste à former des jeunes recrues de l'Armée Blindée sur l'utilisation, très particulière de cet énorme engin. Ayant apprécié mes services, le Colonel du C.I.D.B. m'a fait un élogieux témoignage de satisfaction.

La 501° R.R.M. part souvent en manœuvres au camp de Baumelder. L'été c'est très agréable, mais l'hiver il fait très froid et je regrette la chaleur africaine, mais il faut s'aguerrir par tous les temps et le travail ne manque pas. Ces manœuvres contribuent à la formation des cadres et des soldats du contingent et elles rompent la monotonie du travail routinier que nous avons dans nos quartiers.

La vie en Allemagne est très agréable, le salaire plus important qu'en métropole et les denrées moins chères grâce aux Economats où de nombreux articles sont détaxés. Nous sommes bien logés dans des appartements meublés pour un loyer très modique. J'ai profité de tous ces avantages pour acheter des appareils ménagers modernes et une télévision.

Au mois d'avril 1962, j'ai été avisé que je serais muté en juillet en Algérie pour y effectuer un deuxième séjour. Mes beaux parents s'étant retirés à Nancy, c'est dans cette ville que j'ai loué un appartement pour y loger mon épouse et nos deux enfants.

Le 14 juillet j'ai regagné Marseille où j'ai retrouvé deux anciens camarades, mutés eux aussi en Algérie. Nous avons passé l'après midi ensemble et logé dans le même hôtel. Le lendemain nous avons été à la caserne Du Muy pour y percevoir nos billets d'embarquement lorsque je me suis aperçu que j'avais oublié mon portefeuille dans le tiroir de la table de nuit de ma chambre d'hôtel. J'ai pris rapidement un taxi et j'ai eu de la chance de retrouver mon bien. J'ai retrouvé mes camarades qui avaient déjà perçu leur billet pour un bateau qui partait pour l'Algérie le 16 juillet, mais lorsque je me suis présenté au responsable, il m'annonça qu'il n'y avait plus de place pour un embarquement maritime et il m'octroya une place pour un avion militaire qui partait l'après midi de la base d'Istres. J'ai été annoncer cette nouvelle à mes camarades qui m'ont dit que j'avais de la chance d'arriver avant eux à Alger ce qui me donnerait plus de possibilité d'obtenir une place dans le Sud ou dans une direction régionale.

Hélas l'avion que je devais prendre était en panne et ce n'est que le 19 juillet que j'ai rejoint l'Algérie. Je me suis présenté à la Direction du Matériel à Alger où l'on m'a annoncé que j'étais affecté comme Chef d'Atelier, à la 363° Compagnie Lourde de Réparation Automobile à la Sénia, près d'Oran, car il n'y avait plus de place disponible en Direction ou dans le Sud. J'ai retrouvé un de mes camarades de Marseille, arrivé avant moi, et il m'apprit qu'il était affecté à la Direction du Matériel d'Alger et que l'autre camarade était parti pour Colom-Béchar dans le sud!

La Sénia est un grand camp de stockage où sont regroupés de nombreux matériels, sous le commandement du Commandant Bouliquen et, dans cette enceinte, se trouve également la 363° C.L.R.A. commandée par le Capitaine Rupont. Située à dix kilomètres d'Oran. La Sénia est une petite ville cernée par le terrain d'aviation et notre énorme camp.

C'est le début de l'indépendance Algérienne et, s'il subsiste encore quelques règlement de compte entre les arabes et les pieds noirs, les militaires français sont très bien tolérés des fellaghas qui occupent certaines de nos anciennes casernes. Une grande partie des pieds noirs ont rejoint la métropole et l'organisation musulmane, très désemparée, a du mal à démarrer. Les services publics manquent de personnels qualifiés, l'économie est déficiente et les écoles sont fermées par manque d'enseignants ; seules la police et l'armée remplissent assez bien leur fonction. Dans ces conditions, je ne peux pas faire venir ma famille et de nouveau nous sommes obligés de supporter une pénible séparation.

Mon travail de Chef des ateliers à la 363° C.L.R.A. n'a duré que trois mois car j'ai été détaché au Dépôt du Matériel Complet de La Sénia, comme chef du Bureau Statistiques en remplacement d'un Capitaine et d'un Adjudant Chef, qui ont terminé leur séjour et n'ont pas été remplacés par des cadres métropolitains.

Ce travail de bureaucratie n'a rien à voir avec celui que j'avais exercé antérieurement et il m'a fallu deux mois pour m'initier à la statistique en compulsant une nombreuse documentation et en prenant des conseils auprès des spécialistes des Directions d'Oran et de Rocher noir où est stationnée la Direction du Matériel en Algérie. J'ai sous mes ordres 7 militaires et 11 personnels civils, tous très capables dans leur emploi ce qui m'a rendu la tâche plus aisée. Dans ce dépôt je travaille en relation très étroite avec les Sous-Lieutenants Boholo, Menard et Obillon que j'ai eu l'occasion de revoir souvent au cours de ma carrière. Le D.M.C. est en pleine déflation et en 16 mois nous sommes passés de dix mille à deux mille véhicules. Les machines mécanographiques ont peu à peu quitté l'Algérie et nous devons traiter les statistiques par courrier avec la France. Outre les retards dus à la transmission, il y avait de plus en plus d'erreurs relevées sur les documents fournis par les centraux mécanographiques ce qui paralysait mes activités. J'en ai fait part au Commandant Bouliquen qui alerta la direction de Rocher noir et la direction centrale de Paris. C'est à la suite de ces doléances qu'un matin nous avons reçu la visite de deux Généraux et de trois Colonels, venus des différentes directions pour enquêter sur les erreurs que j'avais signalées et auxquelles ils ne croyaient guère. Après trois jours de contrôle ils se sont rendus compte que mes dires étaient justifiés et ils sont repartis en nous assurant qu'ils allaient donner des ordres pour rétablir la situation. Au cours de cette enquête, le Directeur du service du matériel en Algérie m'a demander de prolonger mon séjour de six mois pour achever la déflation du matériel avant la restitution du camp aux autorités Algériennes. Je lui ai répondu que c'était mon deuxième séjour en Algérie et que la séparation de ma famille était de plus en plus lourde à supporter, aussi me laissa-t-il partir dans les délais prévus.

Mon troisième enfants était né le 11 avril 1963 et je n'avais eu que quelques jours de permission à cette occasion. Cet enfant, de santé fragile, nous donne beaucoup de soucis et mon moral est très bas. Je dois à quelques camardes une profonde reconnaissance, pour s'être ingéniés à me distraire, dans des moments de déprime. C'est ainsi que le soir on joue souvent au bridge et le week-end nous allons à la plage près d'Oran ou à la pêche en mer à Arzeu.

Enfin le 25 novembre 1963, j'ai rejoint la France par avion et après un mois de congé dans ma famille je me suis rendu à Fribourg en Allemagne, lieu de ma nouvelle affectation.

Mon unité, la 503° Compagnie Renforcée de Réparation du Matériel, est commandée par le Commandant Melder, sous les ordres duquel j'avais débuté ma carrière militaire dix ans plus tôt. Ce Commandant a été très heureux de me retrouver et je suis également très satisfait d'être à nouveau sous ses ordres. Il a conservé sa passion pour le tir et d'emblée il m'a fait entrer dans l'équipe de tir du 53° Bataillon des Services. Au sein de la Compagnie il utilisa mes aptitudes en me mettant chef du secrétariat des ateliers. Mon Chef de service, le Lieutenant Prunet, est un homme énergique, très capable dans son emploi et il m'accorda tout de suite sa confiance. Ensemble nous avons fait progresser le rendement des ateliers, ce qui fut remarqué lors d'une inspection.

Parallèlement, j'ai fait des progrès au tir et, par deux fois, j'ai été classé finaliste au concours des forces françaises en Allemagne, mais mon travail très astreignant, ne m'a pas permis de m'exercer suffisamment pour acquérir le niveau National.

En juillet 1964, le Commandant Melder quitta la Compagnie pour rejoindre la direction régionale de Bordeaux où il était affecté. Il a été remplacé par le Commandant Motella, un ancien fantassin, gravement blessé à Dien-Bien-Fu, qui vient d'être intégré dans le service du Matériel.

J'ai été nommé Maréchal Des Logis Major le 1er octobre 1964 et un an plus tard, j'ai été promu Adjudant ; c'était là une belle progression de carrière.

Un nouveau Corps d'Officiers venait d'être crée : celui des Officiers Techniciens, dans lequel les sous-officiers pouvaient entrer par le rang ou par voie de concours. Remplissant les conditions, j'ai suivi, pendant un mois, un stage de préparation à la direction du Matériel en Allemagne à Oberkirch, mais à la fin du stage j'ai été averti que l'ancienneté requise avait changé et qu'il me manquait deux mois de service pour avoir le droit de me présenter à ce concours !

En décembre 1965, j'ai participé à la finale du championnat de tir des F.F.A. qui se déroulait au C.I.D.B. de Trèves. Au cours d'un tir de rapidité où nous étions trente tireurs à tirer simultanément dans un stand couvert, j'ai subi un traumatisme sonore important malgré le coton que j'avais mis dans mes oreilles pour atténuer le bruit. Les soins médicaux se sont avérés inefficaces et j'ai été exempté définitivement de tir et de travail en ambiance bruyante.

Trois mois plus tard, j'ai reçu l'ordre de la direction d'Oberkirch de me rendre à Friedrichaffen, dans un gros centre de réparation Auto-Char, où je suis pressenti pour monter une chaîne de rénovation de chars Patton. J'ai aussitôt prévenu mon Commandant d'unité et le Colonel Directeur du matériel de la zone, que je ne pouvais pas tenir cet emploi car il comportait l'essai au banc de moteurs de 850 chevaux, ce qui est très bruyant et m'est médicalement interdit. Ils m'ont répondu que je devrais plaider cette cause moi-même sur place.

Nanti de mon certificat médical du spécialiste O.R.L. j'ai été à Friedrischaffen où j'ai exposé mon cas au Colonel qui commande l'établissement. Il m'a répondu que depuis trois mois mon traumatisme s'était peut être amélioré et il m'a envoyé consulter le médecin militaire de la place. C'était un médecin Aspirant du contingent, il m'examina et m'a fait un certificat confirmant que je ne pouvais toujours pas travailler en ambiance bruyante. Le Colonel m'a congédié et j'ai rejoint Fribourg. Le lendemain, j'ai été convoqué à neuf heures, par le Général Parechal Directeur du matériel en Allemagne. Très en colère, il m'a dit qu'il s'étonnait que je refuse une mutation dans sa plus grande unité, dans un emploi à ma mesure, car j'étais sorti premier du stage de spécialisation Patton. J'ai invoqué la raison médicale, mais il ne voulu rien entendre et m'a renvoyé en me menaçant d'être muté ailleurs ! Le Capitaine Chef du Service du Personnel de la direction m'a alors conseillé d'accepter néanmoins ce travail mais j'ai maintenu ma position. Il m'a dit que le surlendemain le Général devait visiter ma compagnie et que cela me donnait un temps de réflexion et il m'a renvoyé sur Fribourg.

Dès mon arrivée, j'ai fait part de cette entrevue orageuse à mes chefs et le Colonel m'affirma qu'il prendrait ma défense auprès du Général.

Effectivement lorsque celui-ci vint à Fribourg, il m'a convoqué pour me dire qu'on lui avait seulement parlé de l'exemption du médecin Aspirant, alors que le certificat du spécialiste, antérieur de trois mois, écartait toute manigance de ma part. L'affaire était donc close et j'ai repris mon emploi à la 503° C.R.R.M.

L'informatique faisait son apparition dans l'armée. Ella apportait de grandes modifications dans la comptabilité des ateliers et des approvisionnements. L'armée, en progrès constant, améliorait son organisation. Le Service du matériel s'agrandit, absorbant les tâches des Services du Génie et des Transmissions. A tous les niveaux du Commandement, se faisaient sans heurt, bien que l'évolution des techniques semblent plus rapides que celles des hommes.

Le premier Août 1968, je suis promu adjudant-chef. Depuis deux ans déjà, je suis proposé pour passer officier par le rang. Je suis très bien noté, mais l'absence de décoration constitue un handicap par rapport à ceux qui en possèdent. C'est alors que j'ai regretté de n'avoir pas agi en temps utile pour demander la citation qui m'avait été promise lors de mon premier séjour en Algérie. Je me suis consolé en pensant que j'étais revenu sain et sauf de cette guerre, ce qui n'était pas le cas, malheureusement, pour de nombreux militaires.

Vers la fin de l'année, je suis muté à la Direction du Service du matériel de la 3ème division à Fribourg, sous les ordres du Colonel BARLET, pour y tenir le poste de Chef du secrétariat du bureau technique.

Le colonel est un homme d'une stature imposante : il mesure un mètre quatre-vingt-seize et pèse cent vingt kilos. Bien que très autoritaire, il est très humain pour tous les personnels. Il va souvent visiter les unités du Matériel de la zone qui sont sous son autorité et m'emmène toujours avec lui pour le seconder.

Après avoir apprécié mes qualités techniques, intellectuelles et morales, ce Colonel m'a conseillé fermement au concours des Officiers Techniciens. Ce concours du niveau du baccalauréat est nettement moins ardu que celui des Officiers d'active que j'avais tenté quelques années auparavant. J'ai suivi son conseil et me suis inscrit au concours de préparation par correspondance qui dure six mois.

En 1970, je me suis présenté à l'écrit du concours. Nous étions cent candidats pour tout le service du matériel ; 50 ont été reçus et j'étais du nombre. Peu après nous avons été à l'école supérieure et d'application du matériel de Bourges pour préparer, pendant un mois, l'oral du concours. J'étais le plus ancien des stagiaires ce qui m'a fait nommer Chef de Brigade. Cette fonction me rendait responsable de la discipline de mes camarades et après l'oral, je devais faire un exposé-critique sur le déroulement du stage. C'est pour me communiquer ces fonctions, que j'ai été reçu par le Général Parechal, qui après avoir quitté la Direction du Matériel aux FFA, commande maintenant cette grande école, mais cette fois-ci se fut pas un dialogue de sourds...

L'oral a duré trois jours. A l'issue j'ai fait mon exposé et je l'ai présenté au Général dans la grande salle de réunion où sont rassemblés tous les chefs de cours et les examinateurs du concours. Le Général m'a dit, en quittant son fauteuil :

- "Présentez-nous vos critiques et prenez ma place, cela sera pour vous un signe d'avancement..."

J'ai surmonté mon émotion, car cette phrase était lourde de sens, puis j'ai lu mon exposé où les critiques apportaient des solutions ou des propositions qui à mon sens devaient améliorer le déroulement des prochains stages. J'ai également relevé la valeur des cours dispensés qui ne pouvaient être que bénéfiques à nos futures positions d'Officiers.

Le Général apprécia mon compte rendu, en fit la synthèse et nous convia tous à rejoindre mes camarades pour boire une coupe de champagne.

Ce n'est que quinze jours plus tard que j'ai appris officiellement que j'étais reçu ainsi que 24 camarades de promotion.

J'ai été très content ainsi que mon épouse, mais le plus heureux a été mon beau-père, ancien médecin Colonel, qui m'avait poussé à faire une carrière militaire et voyait ainsi ses conseils récompensés.

Le Colonel Barlet m'a annoncé le 1 janvier 1971 que je venais d'être nommé Sous-lieutenant et m'a félicité chaudement en me remettant mes épaulettes.

Cette nomination entraîna ma mutation à l'école du matériel de Bourges à compter du 1er juillet où j'aurais la fonction d'instructeur auto-char.

Savoir est une bonne chose, dispenser cette connaissance en est une autre et c'est sur le tas que l'on devait acquérir la pédagogie et le potentiel indispensable à tout instructeur. Comme l'avaient fait les anciens, il a fallu que je fasse mes supports pédagogiques pour compléter la documentation donnée aux stagiaires et assurer le programme des cours. Les instructeurs en place, Capitaine pour la plupart, ne sont pas coopérants pour prodiguer des conseils ou prêter leurs vue-graphs et maquettes aux trois sous-lieutenant nouvellement affectés et nous n'avons pas de délai de préparation !

Cette mauvaise ambiance n'a duré qu'un an car de nombreux anciens ont été mutés. La nouvelle équipe, très soudée apporta une amélioration sensible à la qualité de l'instruction.

Tous les instructeurs ont une classe de 24 stagiaires et ne dispensent que des cours théoriques. La pratique est prodiguée par des sous-officiers spécialistes, compétents pour la plupart.

Ayant appris mon passé aux colonies, mon Commandant chef de cours, m'a chargé d'instruire les stagiaires étrangers, regroupés dans une même brigade, alors qu'auparavant ils étaient disséminés dans toutes les brigades et la plupart avaient du mal à suivre...

En effet les étrangers, africains ou maghrébins, ont généralement une formation de base relativement faible, il faut donc adapter mes cours pour parvenir à un résultat acceptable ; mais mon plus grand souci est d'éviter qu'il y ait du racisme entre eux. En effet, sur 24 élèves, il y a entre 6 et 13 nationalités différentes ce qui crée parfois des jalousies tribales et raciales. Il me faut donc user de diplomatie et de persuasion pour calmer les esprits et obtenir d'eux du travail et de la discipline. Ma connaissance des africains noirs et des arabes m'a beaucoup servi et j'ai obtenu plus de succès que mes collègues moins aguerris dans ce domaine. Une anecdote me revient en mémoire : un Mauritanien Moktar Ould Khada a manifesté, en plein cours, des griefs contre un Tchadien Thomas Tombaye et comme je tentais de le calmer, le Mauritanien me dit que je ne connaissais pas les noirs. C'est alors qu'en sango j'ai demandé à Tombaye s'il parlait cette langue. Il m'a répondu en sango que son village natal était proche de la frontière avec la République Centrafricaine et qu'il parlait très bien ce dialecte. La conversation continua, il s'étonnait que je parle cette langue et je lui ai expliqué pourquoi. Enfin en français je me suis adressé à Moktar pour lui demander ce qu'il avait compris ce que j'avais dit au Tchadien. Il m'a répondu qu'il n'avait rien compris. Tu vois donc, lui dis-je que je connais les noirs, car lui m'a bien compris ; d'autre part, j'ai 2 séjours en Algérie et je connais également les musulmans comme toi ! Tous les stagiaires se sont mis à rire et le Mauritanien, déconfit, a cessé le débat.

le 16 février 1972 n'acquit mon 4ième enfant, Marc, alors que l'aîné a dix sept ans et demi et le 3ième neuf ans.

C'est à cette période que j'ai décidé de me faire construire une villa dans un petit village à 16 kilomètres de Bourges. Tous mes loisirs ont alors été occupés à la construction des clôtures et à l'aménagement des 2500 m2 de mon terrain.

Mon métier d'instructeur me passionne de plus en plus et entre deux stages d'étrangers j'instruis des gendarmes ou des C.R.S. dont les cours sont particulièrement adaptés aux véhicules qu'ils ont à entretenir ou à réparer. Cette variation des cours empêche toute monotonie et il règne toujours une très bonne ambiance entre les instructeurs. Je me suis amusé à noter les " coquilles " et " perles " que je relevais sur quelques interrogations écrites et bientôt mes camarades ont noté et me les ont communiquées pour que je les mette dans mon bêtisier. Le Colonel Directeur de l'Instruction, mis au courant par mes collègues, m'a demandé d'en citer quelques-unes au cours d'un repas de corps :

le carburateur alimentaire " au lieu du carburateur élémentaire ",

Le condensateur absorbe le courant d'infrastructure " pour absorbe l'extra courant de rupture "

ainsi que le caoutchouc Saint Ethique ! ont bien fait rire l'assemblée.

J'ai été nommé Lieutenant le 1er janvier 1973 et, entre deux cours, j'ai eu la possibilité de suivre des stages de spécialisation sur des chars AMX 10 et AMX 30, engins modernes qui équipent l'armée française. Dans l'immédiat mes quatre spécialités sur engins blindés m'ont servies pour agrémenter mes cours dans certaines particularités techniques. J'ai suivi également des cours d'électronique et une formation sur les carburateurs anti-pollution à l'usine SOLEX de Paris, afin de diffuser ces connaissances sur mes camarades instructeurs pour moderniser l'instruction.

Le premier Janvier 1977 j'ai été nommé Capitaine et en février j'ai été désigné pour aller enseigner la technique sur chars AMX 10 et 30 en Arabie Saoudite.

Nous sommes quelques Officiers et Sous-officiers d'Active détachés auprès de la FOFRAS, Compagnie civile, qui dispense une instruction technique sur les matériels militaires vendus à l'étranger. Nous sommes très bien rémunérés et travaillons en uniforme sans perdre nos droits à l'avancement.

Très satisfait de ces conditions qui vont m'aider à rembourser les traites de ma villa et à assurer la poursuite des études de mes enfants, je suis parti en célibataire géographique pour ce lointain pays en Mars 1977.

L'avion a atterri à Djeddah à trois heures du matin. Il fait 35° centigrades et il y a une forte hydrométrie.

Un agent de la COFRAS m'attendait et après de longues formalités administratives et douanières, il m'a conduit jusqu'à l'hôtel d'accueil de la compagnie au centre ville.

La chambre ou je me suis reposé est confortable mais le climatiseur est bruyant et si j'en arrête le fonctionnement je suis aussitôt dévoré par les moustiques, aussi j'ai très mal dormi.

Le lendemain, un Lieutenant en retraite du Centre de Taïf est venu me chercher en voiture. Il décida de me faire visiter Djedddah avant de rejoindre Taïf.

Djeddah, énorme port situé sur le littoral de la mer rouge, peuplée de 200 000 habitants en temps normal et de 600 000 en période de pèlerinage sur les lieux saints de la Mecque et de Medine, présente un modernisme outrancier avec ses grands immeubles bétonnés bordant les larges avenues rectilignes qui côtoient des souks aux boutiques minuscules agglutinées les unes aux autres, dans des petites ruelles obscures, sales et malodorantes.

J'ai fait part de ces remarques à mon guide qui, pendant le trajet de 200 kilomètres vers Taïf, m'a confirmé que ce contraste se perpétue dans la géographie du pays, dans les mœurs et les coutumes de ses habitants ainsi que dans l'économie et même dans la religion.

L'Arabie Saoudite est effectivement un pays de contrastes plongé, en 25 ans, du moyen âge au vingtième siècle, où le chameau du bédouin côtoie la Cadillac de l'Emir et où les articles les plus modernes jouxtent les ancestraux parfums d'Orient et où la Toyota 4*4 double dans la poussière le marchand d'eau ambulant avec son petit âne triste. Contraste encore de voir ce Royaume grand comme quatre fois la France, peuplé seulement de 8 millions d'habitants, constitués en grande partie de nomades vivant de l'élevage de chameaux et de moutons et du transport de marchandises par caravanes vers les lieux non desservis par des pistes, alors que la plus faible partie est sédentaire dans les centres urbains et vit du commerce. L'artisanat est inexistant, l'agriculture faible et archaïque est exécutée par des émigrés Yéménites, qui exercent également la pêche en mer lorsqu'ils sont près des côtes. Le pouvoir est monarchique. Le roi est également président du conseil d'un cabinet où siègent 16 ministres ; mais on trouve aussi des Assemblées adaptées à la nature de la vie, telles les conseils de Tribus ou de villages.

Les principales villes d'Arabie sont reliées par des lignes aériennes et par de nombreuses routes et autoroutes qui sillonnent le désert et le djebel, mais il n'existe qu'une seule voie ferrée qui relie la capitale Riyadh au port de Dammam sur le golfe persique. Les ressources minières et surtout pétrolifères sont immenses, mais l'eau est rare, donc chère.

Le climat, très variable selon les lieux et l'altitude est néanmoins très chaud le jour, plus de 45° centigrades à l'ombre. Il peut par contre faire très frais voire froid la nuit en saison hivernale où la température peut tomber à 4° centigrades. L'hydrométrie varie également de 0 % au centre du pays à 100 % sur les côtes de la mer rouge et du golfe persique. Contraste géographique aussi entre les plaines sableuses du littoral et les sommets boisés des monts du Hedjaz et de l'Asir qui culminent à trois mille mètres.

Dans ce pays seules deux choses sont immuables : le costume et la religion.

Le Saoudien de l'intérieur est souvent de haute stature, il a des traits réguliers, le teint basané, le nez fin et les yeux noirs. Le visage, toujours garni d'une moustache et d'une barbiche est surmonté d'une chevelure noire et abondante dissimulée sous un Kéfieh " tissus de coton blanc ou à carreaux rouges et blancs " retenu sur la tête par un cordonnet appelé Zagal. Il est habillé d'une taube, sorte de robe d'un seul tenant depuis le cou jusqu'au pieds, en coton blanc, en soie crème ou en drap sombre, serrée à la taille et évasée vers le bas.

Le Saoudien de la côte est de petite taille, métissé, souvent noir, mais il porte sur la face le même système pileux et revêt le même costume.

Qu'ils soient de littoral ou de l'intérieur, les personnages de haut rang ont, en plus de la taube, un manteau, Machlah, en tissus de laine, de poil de chameau et de soie, avec une large bande de fils d'or rabattue sur l'épaule.

Les femmes sont uniformément vêtues de noir, la tête et le visage cachée par un épais voile noir, le Tchador.

Gardiens des lieux saints de la Mecque et de Médine et descendants du Prophète par les tribus bédouines de désert, les habitants de l'Arabie Saoudite sont tous musulmans convaincus du rite Sunnite. Le culte, très fermement implanté, fait l'objet d'une observance rigoureuse. Cinq fois dans la journée, du haut des nombreux minarets des mosquées, les muezzins appellent à la prière en criant : Allah ak barh; Allah est grand.

Le mois du ramadan est destiné au jeune diurne qui dure 28jours et se termine par une fête, l'Aïd af Fitr. Seuls les musulmans ont accès à la mosquée sacrée de la Mecque où le pèlerinage, Hadj, est une obligation une fois dans la vie des croyants. Dans ce but, le gouvernement Saoudien a crée à Djeddah un aéroport international réservé aux pèlerins que des services de cars mènent vers les lieux saints. Les pèlerins vêtus de blanc tournent sept fois autour de la Kaaba de la Mecque et égorgent un mouton le jour du sacrifice. L'alcool et la viande de porcs sont interdits par la loi coranique et ces interdits sont même exigés aux " infidèles " vivants sur le territoire.

Le système judiciaire et la jurisprudence sont basée sur des critères religieux. Les jugements sont rapides et les sentences sont exécutées le vendredi, jour dominical, en place publique. Les femmes reconnues coupables d'adultère sont lapidées; les grands voleurs ont la main droite coupée et les criminels sont décapités au cimetière, alors que les fautes de moindre importance sont punies de bastonnades. La loi coranique impose également de dire bonjour et de ne manger qu'avec la main droite. La main gauche, main impure, ne sert qu'à se torcher les fesses. Cela entraîne le rejet de la société des voleurs amputés de la main droite !

Les Saoudiens sont très sensibles au comportement que nous sommes tenus d'avoir vis à vis du culte musulman. En ville et dans les villages une certaine mise est de rigueur, il faut éviter de déambuler torse nu et en short. Les femmes Européennes sont tenues de porter des robes longues ou des pantalons plutôt que des robes courtes.

En Arabie, toute la vie est fonction de la dépendance de l'homme face à la transcendance de Dieu. L'Islam est pure soumission à la volonté divine. La constitution du royaume est fondée sur cette affirmation. Il est bon de s'en souvenir pour mieux comprendre les us et coutumes du pays. Il en résulte que les étrangers, non musulmans, pénétrant en Arabie doivent prendre conscience de leur condition " d'infidélité " avec tout ce qu'elle comporte de respect envers le peuple et les richesses culturelles. Il serait déplacé de la part de l'étranger d'entretenir en lui un complexe de supériorité vis à vis d'un peuple qui progresse lentement vers le modernisme parce que vivant dans une société plus patriarcale.

L'Orient porte des valeurs humaines indéniables, mais il faut les découvrir au fur et à mesure des contacts avec les habitants et lorsque l'on ne connaît pas la langue ce n'est pas facile.

En plus de cet exposé, j'ai admiré la dextérité de mon chauffeur à conduire la berline Peugeot 504. Il est en Arabie depuis 4 ans et a appris à éviter les embûches de la circulation Saoudienne. L'autoroute bétonnée n'a pas de barrière centrale et les bas coté sont à la hauteur des pistes du djebel d'où surgissent parfois des nomades 'badous) en camionnette Toyota qui coupent sans vergogne la quadruple voie !... Lorsque l'on s'apprête à doubler un camion, le chauffeur de ce camion met son clignotant à gauche pour signaler que l'on peut le doubler... Mais parfois, il tourne véritablement à gauche !... Il faut également se méfier des vents de sable, fréquents, qui gênent la visibilité autant qu'un épais brouillard mais, en plus, créent par endroits des monticules de sable qu'il faut contourner. Parfois, quelques dromadaires traversent nonchalamment la route et l'avertisseur ne les impressionne pas. Ces lourdes bêtes sont un danger permanent, la nuit ou par vent de sable ! Il est donc nécessaire d'adapter la conduite aux circonstances et d'avoir beaucoup de réflexes pour éviter les embûches et les nombreuses fautes de conduite des conducteurs Saoudiens. Ils ne possèdent pas d'auto écoles et le permis leur est attribué s'ils savent reconnaître la couleur des feux tricolores et s'ils parviennent à exécuter une marche avant sur 100 mètres, arrière sur dix mètres ! Ils ne possèdent pas d'assurance, car Allah doit veiller sur eux. Dans un carrefour lorsque, parfois, l'un d'eux grille un feu rouge et provoque un accident avec une voiture conduite par un étranger, il jure sur le coran qu'il est passé au vert et le policier, lorsqu'il y en a un, verbalise l'étranger... Dans ces conditions rouler en Arabie n'est pas une sinécure !

A cinquante kilomètres de Djeddah, d'immenses pancartes portant des inscriptions en 10 langues différentes, indiquent la direction de la Mecque et l'interdiction aux non musulmans d'emprunter cette route. Une autre route, à 4 voies, contourne La Mecque sur 70 kilomètres, elle est réservée aux infidèles et, en opposition aux gens en taube nous l'avons surnommée la route des pantalons.

A proximité de Taïf ont gravit une montagne qui passe d'une altitude de 300 mètres à 1800 mètres en 27 kilomètres. Taïf, grâce à cette altitude est une ville relativement tempérée, environnée de jardins fleuris et d'arbres tropicaux. Pendant l'été Taïf reçoit, dans de nombreux palais, la famille princière et tout le gouvernement qui fuient la canicule de la capitale, Riyadh.

C'est à Taïf, au sein de l'ordonnance school Saoudienne, que le centre COFRAS a été installé. Ce centre, commandé par un Colonel d'active, comprend 10 Officiers, 4 Sous-officiers, 132 personnels civils français et 51 interprètes Libanais ou Egyptiens. Tous les français sont spécialisés dans les différentes technologies sur les engins blindés que le GIAT a vendus aux Saoudiens.

La zone vie comprend 17 villas, réservées aux " célibataires ", un cinéma, une piscine et 2 courts de tennis.

En ville un " compound " regroupe 23 villas et 12 appartements réservés aux Cofrasiens vivant en famille.

La COFRAS a son siège à Paris et, pour l'Arabie, une direction à Riyadh. Cette compagnie est chargée de fournir des instructeurs civils ou militaires pour former des cadres Saoudiens dans toutes les techniques d'utilisation, d'entretien et de réparation des chars. A Tabuk est dispensée la tactique sur le terrain et à Taïf la technique.

Les cours techniques théoriques sont prodigués en Français et traduits en arabe par les interprètes, malheureusement la langue arabe est pauvre en termes techniques et les interprétations sont malaisées, voir pittoresques. C'est ainsi que les culbuteurs deviennent des petits oiseaux qui picorent ; l'arbre à cames, le perchoir ; tandis que, tout naturellement, le carter cache culbuteurs se traduit par la cage aux oiseaux !

A de rares exceptions, le niveau intellectuel des SOUS-OFFICIERS stagiaires Saoudiens est très bas et leurs connaissances en techniques de base pratiquement nulles. C'est pourquoi les cours qui, à Bourges, durent 5 semaines demandent 15 semaines en Arabie...

Il nous est interdit de mettre une note inférieure à 10/20, si bien que tous les stagiaires sont reçus. D'autre part, l'effectif de l'armée Saoudienne est faible aussi revoit-on souvent les mêmes têtes dans des stages différents. Les meilleurs, pour ne pas dire les moins mauvais, sont conservés comme moniteurs mais, s'ils parviennent à effectuer et à expliquer certains démontages et remontages, ils sont incapables d'effectuer un diagnostic correct en vue d'un dépannage. Ils ont néanmoins les dons de la conduite et du tir, pour peu qu'il n'y ait pas de calcul à effectuer.

Les officiers Saoudiens parlent couramment l'anglais et quelques-uns correctement le français. Certains doivent apprendre auprès de nous le métier d'instructeur pour prendre par la suite notre relève, mais rares sont ceux qui consentent à s'abaisser pour puiser notre savoir ! Presque tous sont imbus du pouvoir de l'argent que leur apporte les pétrodollars et, dans ces conditions, il nous faut être très cocardiers pour enseigner à des gens qui ne sont pas motivés...

Comme tous les arabes, les Saoudiens ont le culte de l'hospitalité et ils nous invitent souvent chez eux pour manger l'éternel mouton, ou poulet, bouilli accompagné de riz cuit à l'eau que l'on mange de la main droite dans un grand plat autour duquel nous sommes assis sur les talons, en tailleur. Pour observer la loi coranique leurs femmes ne participent jamais aux repas, elles font la cuisine et mangent les restes.

La religion coiffe tout ce peuple avec ses devoirs et ses interdits poussés à l'extrême. La royauté et la police, avec l'appui des chefs religieux, dirigent le pays très fermement tout en apportant aux Saoudiens des facteurs sociaux non négligeables : Exemption d'impôts, soins, médicaments et enseignement gratuits, prêts à faible intérêt pour l'accession à la propriété.

Pour nos loisirs, nous avons la possibilité d'aller tous les week-end, ( jeudi et vendredi en Arabie) en voiture à Djeddah où, près d'une immense crique, nous avons des bungalows, des bateaux à moteurs hors bord et des voiliers. La Mer Rouge, très belle, chaude et limpide recèle de nombreux poissons, des coquillages superbes et une magnifique barrière de corail. La crique est très fréquentée par les étrangers, la mer y est très calme et les requins ne s'y aventurent pas. La barrière et ses coraux de toutes formes et de toutes couleurs sont féeriques. Les poissons exotiques bariolés ne sont pas farouches et les anémones où viennent se protéger les poissons clowns laissent bouger au gré des courants leurs gracieuses tentacules. Il faut se méfier des poissons scorpions aux nageoires irisées en forme de plumes garnies de piquants empoisonnés et surtout des poissons-pirre immobiles au fond de l'eau dont le mimétisme caillouteux rend la présence invisible. Gare à l'imprudent qui pieds nus en marchant en eau peu profonde s'exposerait à leurs épines dorsales munies d'un venin mortel !

Avec quatre camarades aussi passionné que moi de plongée en apnée, nous allons hors de la crique à plus de 100 kilomètres, pour trouver des endroits inexplorés, donc plus riche en faune sous-marine. Longeant les plages à travers le désert sablonneux ou rocailleux, il nous faut éviter les plaques de fesh-fesh d'apparence verdâtre ou les passages de sable poudreux, ces deux embûches du désert qui enlisent les voitures qui ne sont pas tous terrains ; c'est pourquoi nous partons toujours à deux voitures en évitant de rouler dans les mêmes traces, ainsi l'une peut remorquer l'autre le cas échéant. Outre le matériel de pêche, nous emmenons de la nourriture et de l'eau fraîche ainsi qu'une toile de tente et des duvets. Finalement installés près d'une plage déserte, nous subissons la nostalgie du désert et de la mer avec un sentiment de bien-être qui compense le pénible trajet effectué dans la poussière, sous un soleil de plomb.

Au petit jour, sous le soleil rasant déjà chaud, la barrière corallienne est féerique et les poissons, non pourchassés, se laissent approcher et viennent même à notre rencontre, curieux de découvrir les nouveaux habitants marins que nous sommes pour eux. Aussi, sans pour autant faire de carnage, notre pêche est fructueuse et notre récolte de coquillages abondante en espèces variées. Par contre nous ne nous écartons pas de la barrière de corail pour éviter d'être attaqués par des requins ou des barracudas. La nuit, munis de lampes torches étanches, nous pêchons des langoustes et des oursins crayons aux gros piquants arrondis qui ne sortent des trous de rocher qu'au crépuscule.

Dès la nuit tombée, à marée basse, nous pêchons aussi des orphies et des aiguillettes, en les attirants avec la lumière d'un lamparo posé sur un petit radeau que nous tirons en marchant dans l'eau. Ces poissons fascinés par la lueur sortent de l'eau par grappes que nous happons dans des épuisettes, les prises sont alors mises dans des seaux posés sur le radeau.

Le lendemain matin, nous vidons les mérous et les truites de mer que nous entreposons avec les langoustes, les aiguillettes et les orphies dans des glacières pour les emmener à Taïf où le cuisinier en fait d'excellents repas appréciés par tous les camarades qui mangent avec nous au mess des Officiers.

Pour éviter une rapide décomposition des coraux et des coquillages par la chaleur, le retour se fait la nuit et lorsque, vers une heure du matin nous rejoignons Taïf nous sommes fourbus mais heureux.

Toutes les après midi de la semaine je nettoie mes coquillages, éloigné des villas pour ne pas exposer leurs habitants à la puanteur que cela dégage. Une fois vidés, certains sont nettoyés à l'eau de javel et les coquillages de couleur fragile sont simplement rincé à l'eau claire. En Arabie il n'existe malheureusement pas de fourmis pour faire pour faire ce travail de nettoiement, comme en A.E.F. où il suffisait de mettre les trophées de chasse dans une fourmilière et 8 jours plus tard je le récupérais parfaitement blanchis...

Tous les soirs, après le dîner, nous avons des projections de films en cinéma ou magnétoscope et de temps en temps nous organisons des jeux et des concours dotés de prix.

L'instruction donnée par nos prédécesseurs étant incomplète car elle ne comprenait pas de notions de dépannage, il a été nécessaire d'inclure cette matière en raccourcissant certaines phases de l'instruction. Cette tâche n'a pas été aisée car non seulement elle modifiait sensiblement les maquettes pédagogiques existantes, mais il fallait parallèlement en faire admettre la nécessité aux cadres Saoudiens, sans critiquer ouvertement la lacune des premiers instructeurs.

Les moniteurs Saoudiens déjà formés, sont souvent de mauvaise foi et reportent toujours la responsabilité de leurs fautes sur les moniteurs français et il nous faut user d'une énorme diplomatie et trouver des arguments indéniables pour convaincre les officiers saoudiens de la véracité des choses. L'ambiance de travail est donc très mauvaise et la qualité s'en ressent. Nombreux sont ceux parmi nous qui auraient rompu leur contrat si le manque à gagner n'avait pas été si important.

Tous les trois mois, nous avons un congé de 20 jours à passer en France, en plus de la joie de revoir notre famille, c'est une décompression salutaire de l'esprit après les contraintes que nous endurons dans ce pays chaud, au peuple hostile à nos coutumes.

Aussi s'est avec soulagement qu'en juillet 1979 j'ai quitté l'Arabie Saoudite, où en dehors de mon salaire et de la beauté de la Mer Rouge, je ne garde aucun souvenir attachant.

Affecté au Magasin Central de Rechanges et d'Outillage de Bourges, je me suis présenté au Lieutenant Colonel Cemuth qui commande cet organisme. Je le connaissais car il était Commandant et Chef de Cours à l'Ecole du Matériel lorsque j'étais instructeur. C'est pour cette raison qu'il avait obtenu de la Direction Centrale que je sois affecté sous ses ordres comme chef du service des ateliers du M.C.R.O.

Après avoir laissé Gilles et Marc en garde dans la famille, mon épouse et moi sommes partis passer 3 semaines de vacances en Amérique chez mon frère Claude. Nous avons été bloqués 12 heures à Kennedy Air Port de New York à cause d'une tempête, puis avec un avion d'Eastern air line nous avons rejoint Greensboro où mon frère nous attendait. Greensboro, petite ville universitaire de la Caroline du Nord conserve encore les vestiges du Sud avec ses maisons de style colonial noyées dans la verdure. Claude nous a fait visiter pleins de beaux sites et en particulier la ville d'Old Salem où tout un quartier a conservé ses maisons d'avant la guerre de Sécession ; et surtout la petite localité de Williamsburg, premier village à s'être rallié à l'Amérique lors de la guerre d'Indépendance. Ce village a conservé tout son aspect et ses habitants sont toujours vêtus en costumes d'époque et même les restaurants servent les mets ancestraux dans des écuelles de bois et la boisson dans des gobelets d'étain. La circulation des véhicules y est interdite, seules des calèches tirées par des chevaux trimbalent les touristes. Enfin nous sommes allés visiter les somptueux musées de Washington tous plus beaux les uns que les autres, ainsi que le mausolée de Lincoln, le cimetière d'Arlington situé autour de la maison du général Lee et où ne peuvent être enterrés que les anciens militaires qui le désirent, le Capitole et la Maison Blanche. Enfin nous avons passés quelques jours sur la côte de l'Atlantique où Claude et son épouse Claudie possèdent un bungalow sur pilotis près de Newport. C'est avec plein de photos et de bons souvenirs que nous sommes revenus en France où j'ai pris mon travail avec sérénité.

Le M.C.R.O. crée en 1963 a succédé à un Etablissement de Réserve Général de Matériel d'Artillerie en conservant les ateliers et quelques ouvriers spécialistes en réparation de matériel d'artillerie, c'est pourquoi une mission technique y a été maintenue contrairement aux autres magasins centraux qui font également partie du service central des approvisionnements dont le siège est à Versailles.

En plus de la réparation des canons autotractés, les ateliers du M.C.R.O. sont chargés de réaliser la confection et la réparation d'approvisionnements au profit du S.C.A. et de la direction centrale de l'arme du matériel. Ces activités très diversifiées, dont les petites séries ne justifient pas de travail à la chaîne, conduisent à une organisation très particulière de mes ateliers pour les adapter à leur mission. La multiplicité de ces réalisations et leur fréquence impliquent des changements d'organisation des postes de travail plusieurs fois l'an et de nombreuses réunions de concertation à la direction du S.C.A. à Versailles.

Les cinq ateliers que je commande sont dirigés par des Techniciens chefs civils, hautement qualifiés et par des Sous-officiers spécialistes. Ce travail est très captivant, il se déroule dans une très bonne ambiance et mes 60 ouvriers civils réalisent un excellent rendement. Après l'Arabie qui m'avait sapé le moral ce changement m'est bénéfique tant sur le plan du travail que sur le plan familial.

Ces facteurs favorables ont également influé sur ma notation ce qui me met en bonne position pour faire une demande d'intégration dans le Cadre Technique et Administratif. En effet le statut des Officiers Techniciens ne permet que d'accéder au grade de Capitaine alors que le C.T.A. offre des places d'officiers supérieurs. Peu d'Officiers Techniciens sont intégrés, en 1981, 5 seulement ont été retenus sur 200 postulants. Il importe donc d'être très bien noté pour franchir le cap.

En 1982, j'ai eu la possibilité de présenter un mémoire en vue de l'obtention du diplôme de qualification militaire. Ce mémoire devant être établi sur les particularités de l'emploi, ma fonction au M.C.R.O. avec ses différences par rapport aux chefs d'ateliers des autres organismes du matériel, m'a fourni un sujet de thèse intéressant à développer. Au bout de 4 mois, j'ai expédié ce mémoire à la commission de notation de la direction centrale et il a été retenu. Ce diplôme apporte une majoration de 10 % de la solde ce qui n'est pas négligeable.

Le Lieutenant Colonel Cemuth a pris sa retraite en juillet 1981 et au cours de la cérémonie de passage de commandement, le général Belfour, Directeur du S.C.A. m'a remis l'ordre national du Mérite. Cette décoration, crée par le Général DE GAULE, est attribuée aux Officiers et aux Sous-officiers en fonction de la notation et de l'ancienneté de service.

Le Colonel Couchet, mon nouveau Directeur, est un ancien cavalier, intégré dans l'arme du matériel depuis 5 ans, qui revient d'un séjour dans le Pacifique où, en tant que professeur de physique nucléaire, il était chargé de contrôler les expériences atomiques.

Homme du monde et très érudit, ce Directeur n'en est pas moins très simple et soucieux du bien être de ses subordonnés. Très compétent, il a une autorité naturelle agrémentée d'un grand esprit de justice et nous sommes tous subjugués par sa valeur de l'exemple.

En janvier 1983, le chef du personnel de la Direction centrale m'a demandé si j'acceptais d'être muté, un mois plus tard, dans les hautes Pyrénées pour assurer les fonctions de chef d'une Annexe de l’Établissement Régional de Muret implantée sur le plateau de Lannemezan. Le Capitaine Commandant cette annexe est en arrêt de longue maladie, ce qui explique son remplacement en dehors des périodes normales de mutation de juillet-août.

Accepter cette place ne pouvait être que bénéfique pour mon intégration dans le cadre Technique et Administratif ; d'autre part la région pyrénéenne est très belle et le climat y est bien plus clément que dans le Berry. Cependant, sur le plan familial, cela m'oblige de quitter ma villa, m'éloigne de ma fille qui est institutrice à Bourges et de mon fils Gilles qui vient de partir à Altkirch, dans l'est de la France pour effectuer son service militaire.

Après avoir fait le point sur les avantages et les inconvénients, toute la famille a jugé que je devais accepter cette mutation.

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Pour ne pas perturber l'année scolaire de mon fils Marc, je l'ai laissé avec mon épouse à Annoix et je suis parti en célibataire géographique me présenter au Directeur de l'E.R.M. de Muret dont j'allais dépendre désormais.

Ce Directeur, le Lieutenant Colonel Renard, m'a brossé un noir tableau de l'Annexe que j'allais commander : un personnel de cet organisme avait adressé une lettre anonyme au Ministère des Armées pour dénigrer mon prédécesseur. Il s'en était suivi d'une enquête qui l'avait mis hors de cause, mais il subsistait un climat social malsain qui avait agi sur son moral et son état physique.

Le lendemain, j'ai été convoqué à Bordeaux par le Général Bouton qui commande la Direction Régionale du Matériel. Il m'a donné six mois pour rétablir la situation à Lannemezan sinon il ferait procéder à la dissolution de l'Annexe ! Intérieurement j'ai regretté de m'être embarqué dans cette galère, mais je promis de faire de mon mieux.

Lannemezan est une jolie ville de 8000 habitants, juchée sur un plateau au carrefour des Pyrénées, d'où par la verdoyante vallée d'Aure on accède à la chaîne montagneuse en longeant les collines mamelonnées des Baronnies. L'éclatante blancheur de la neige orne les sommets et la saison de ski a attirée de nombreux touristes.

Le Lieutenant Fichaux, adjoint de l'Annexe, m'a accueilli à la porte de l'établissement. C'est un homme jeune, jovial et plein de fougue, qui possède d'indéniables qualités d'organiseur et d'une grande ardeur au travail, mais c'est la première fois qu'il commande des personnels civils et il n'est pas suffisamment diplomate pour obtenir d'eux une adhésion d'ensemble. Cela avait crée la formation de deux clans et un antagonisme latent. Il est très mal secondé par ses Sous-officiers dont 3 sur 5 sont âgés, physiquement inaptes et fainéants, il ne pouvait donc compter que sur lui-même pour réaliser et, moralement il supportait mal cette situation. C'est pourquoi il avait demandé sa mutation et il quitta l'Annexe au mois de juin.

Dans la même période, les 3 sous-officiers incompétents ont été conviés à prendre leur retraite et l'on m'affecta un Lieutenant adjoint, un Major et un Adjudant Chef féminin. Ces 3 personnels sont jeunes, dynamiques et compétents ; avec les deux Sous-officiers restants ils ont formés une équipe qui m'a secondé efficacement.

Les personnels civils de l'Annexe, 6 employés et 58 ouvriers, sont tous originaires de la région et beaucoup d'entre eux possèdent une fermette où ils travaillent pendant les heures de loisirs et de congés annuels.

Située au Sud-est de la ville ; l'Annexe a conservée dans la population son ancienne appellation d'Arsenal. A 680 mètres d'altitude, le camp d'une superficie de 154 hectares est réparti en deux zones, l'une de 80 hectares de surfaces bâties entourées d'un couloir à chiens, l'autre forme une lande boisée ceinturée par un mur bétonné de 3 mètres de hauteur. Un circuit ferroviaire particulier de 77 kilomètres de long traverse les 2 zones et relie la ligne SNCF Toulouse Tarbes. Une petite partie du camp est prêtée au centre mobilisateur N°10 qui comprend 3 Officiers, 10 Sous-officiers et 40 militaires du contingent. Le Chef de ce centre du grade de Commandant, cumule les fonctions de Commandant d'armes de la place de Lannemezan et de responsable de la sécurité du domaine militaire. Son poste de garde renforce donc le gardiennage assuré par mes quatre veilleurs civils et mes 3 maîtres chiens.

Une légère animosité régnait entre le C.M 10 et l'Annexe et mon premier soin a été de créer un climat favorable entre ces deux organismes, qui ne peuvent que tirer bénéfice des services communs que l'on peut se rendre. La situation a changé rapidement et nos missions, pourtant très différentes, se réalisèrent en parfaite symbiose dans une ambiance très agréable.

Les missions de l'Annexe sont multiples :

- stockage de rechanges au profit du service central des approvisionnements.

- stockage de matériels complets au profit de la IV° Région Militaire.

- réforme et vente aux domaines de matériels périmés.

- entretien et réparation de véhicules de 4 corps de troupe.

- réparation et modification de conteneurs métalliques d'ensembles auto-chars, Génie et d'Aviation légère de l'armée de terre.

- entretien du domaine immobilier et des espaces verts.

- gardiennage et sécurité du domaine militaire et de ses installations.

- relation publique.

Par recoupements, je n'ai pas tardé à démasquer l'auteur de la lettre anonyme qui avait crée la détérioration de l'ambiance et, par voie de conséquence, la baisse du rendement de l'Annexe. Depuis six mois, il était en longue maladie pour une déficience psychique, d'abord réelle, puis simulée. J'ai été voir cet homme chez lui et je lui ai fait comprendre qu'il ne pouvait espérer aucun avancement de ma part s'il reprenait son travail, en conséquence il demanda et obtint une retraite anticipée et on ne le revit plus dans le camp.

Le délégué C.G.T. qui n'est suivi que par une faible partie de l'effectif, et qui, souvent entrave la bonne marche du service, est un homme très imbu de ses prérogatives syndicales. Sur le plan qualitatif il excelle dans son emploi de maçon mais ne réalise pas un rendement acceptable. Je lui ai démontré très souvent qu'il outre passe ses droits et ne réalise pas ses devoirs envers la législation du travail. Pensant que sa fonction et ses connaissances professionnelles le rendaient indispensable, il crût m'intimider en me posant sa demande de démission que, bien sûr, j'ai acceptée. Ainsi débarrassé des deux ouvriers que la majorité réprouvait, les personnels civils ont retrouvé leur sérénité.

Très aidé par mon nouvel adjoint et mes Sous-officiers par leur valeur de l'exemple et le haut niveau de leurs compétences et une autorité conciliant le facteur humain, nous avons obtenu rapidement l'estime des personnels civils. Le rendement a augmenté et l'absentéisme a régressé nettement. Ces deux facteurs favorables ont été constatés par le Général Bouton qui remarqua également le bon climat et l'absence de réaction syndicale néfaste. L'Annexe était sauvée.

Cependant la politique gouvernementale a décidé une déflation des effectifs dans l'armée et les droits ouverts de l'annexe ont diminué d'un Sous-officier et de 10 personnels civils. Ceci s'est réalisé en trois ans au fur et à mesure des départs à la retraite. Parallèlement, le Service Central des approvisionnements m'a demandé de doubler la quantité des conteneurs à réparer et d'éliminer des tonnes d'approvisionnements devenus sans emploi. Pour réaliser cet accroissement de travail j'ai renforcé l'équipe de l'atelier et celle des magasiniers en permutant des spécialistes de l'atelier et des personnels du stockage.

Au préalable j'ai réuni tous mes personnels pour leur expliquer le bien fondé de cette réorganisation et je les connaissais assez pour regrouper les compétences et les affinités. Je leur ai également démontré l'espérance d'avenir que cet accroissement de travail leur apportait.

En juillet 1983, mon épouse et Marc m'ont rejoint après avoir loué notre maison d'Annoix, mais le logement de fonction de l'arsenal est toujours occupé par mon prédécesseur ce qui m'oblige de louer une villa en ville. Cette maison est très belle et de sa terrasse on peut admirer le site grandiose de la chaîne Pyrénéenne, mais le montant du loyer est exorbitant. Ce n'est qu'en juillet 1985 que nous avons pu occuper la grande villa de fonction située près du camp au milieu d'un immense terrain ombragé par des grands sapins.

En janvier 1984, mon nouveau Directeur, le colonel Nagenel m'a annoncé que je venais d'être intégré dans le cadre technique et administratif. Nous ne sommes que trois Officiers techniciens pour toute l'arme du matériel à accéder dans ce cadre, aussi j'ai été félicité officiellement par tous mes supérieurs hiérarchiques.

Sur le plan des relations publiques, je suis bien accueilli à Lannemezan par le député-maire et ses adjoints, ainsi que par la Brigade de Gendarmerie, la Compagnie Républicaine de sécurité de haute montagne et le corps de Sapeurs pompiers. Mon épouse et moi toujours invités aux manifestations organisées par le Comité des fêtes de la ville et aux réunions des Anciens Combattants et des Médaillés Militaires. Au cours de ces réunions, en reconnaissance de mes actions en Algérie, j'ai reçu la Croix des Anciens Combattants.

Inscrits au club de bridge, mon épouse et moi avons noué d'excellentes relations avec la haute classe sociale de la ville et nous sommes très souvent invités à des diners-bridge très agréables.

Entre les pique-niques dans les Baronnies, la pêche à la truite dans les torrents de montagnes, les parties de tennis, la cueillette des champignons l'automne et le ski de fond l'hiver, nos loisirs sont nombreux.

Nous sommes très bien intégrés dans cette belle région et, deux fois l'an, pour les vacances d'été et celles de fin d'années, nos grands enfants viennent nous rejoindre avec notre petit-fils Alexandre.

Nous pensions vendre notre maison du Berry et en acheter une dans les environs de Lannemezan lorsqu'en janvier 1986 j'ai été nommé Commandant. C'est pour tous une grande joie mais malheureusement cela entraîne une nouvelle mutation car ce grade est trop élevé pour commander une annexe.

A trois ans de ma fin de carrière, la Direction Centrale voulait me donner une place d'adjoint au Commandement d'un des régiments du matériel nouvellement crées dans l'Est de la France. J'ai du faire intervenir mon Directeur de Muret pour obtenir un rapprochement de mes enfants et de ma maison. C'est ainsi que l'on m'a proposé le poste de Chef des Services Techniques de l’École Supérieure et d'Application du Matériel de Bourges.

Tous les personnels de l'Annexe de Lannemezan m'ont dit qu'ils allaient me regretter et certains voulaient faire une pétition pour que je reste mais je les assurais que rien n'y ferait car je ne pouvais pas me soustraire aux ordres et obligations.

Mes personnels civils et militaires m'ont offert un copieux repas d'adieu et des présents qui m'ont beaucoup touché. Le seul cadeau que je leur ai laissé en retour était la certitude que l'Annexe ne serait pas dissoute et, dans la période de chômage où nous vivons c'est pour eux une importance capitale.

C'est avec regret que j'ai quitté Lannemezan où j'ai laissé beaucoup d'amis et où sur le plan professionnel, j'ai exercé un commandement captivant.

Le 1er juin 1986 j'ai pris mes fonctions de Chef des Services Techniques de l’École Supérieure et d'application du Matériel de Bourges commandée par le Général Blein et dont le Chef de corps est le colonel Obillon que j'avais connu Sous-lieutenant lors de mon deuxième séjours en Algérie. Ce dernier m'a convoqué pour m'indiquer le rôle que je devais tenir dans ma nouvelle fonction. Il m'a également félicité pour ma progression dans l'Armée et m'a souhaité un bon séjour après avoir évoqué quelques bons souvenirs de notre passé Algérien.

Dans cette grande école la fonction de Chef des S.T. n'est pas une sinécure. J'ai à commander 3 Officiers, 20 Sous-officiers, 60 militaires du contingent et 80 civils employés et ouvriers. Les S.T. sont chargés d'entretenir et de réparer tous les matériels utilisés pour l'instruction et le service courant de l’École, pour ce faire ont été crées les services et ateliers suivants :

- Le service des Approvisionnements techniques.

- Le service des Transports et de Dépannage.

- Le service des Munitions.

- Le service des Approvisionnements en carburants des véhicules et des hélicoptères.

- L'Atelier d'Entretien et de Surveillance des matériels de lutte contre l'incendie.

- L'atelier d'Entretien et r réparation des armes spéciales.

- L'Atelier des Transmissions.

- L'Atelier Auto et Engins du Génie.

- L'Atelier d'Armement de Petit Calibre.

Je suis chargé de superviser et de coordonner les actions de ces organismes, d'en assurer la gestion et de traiter toute la comptabilité des personnels et des Matériels.

Deux mois après ma prise de fonction mes services ont été contrôlés par l'Inspection Centrale de l'Arme du Matériel. Les résultats ont été jugés très satisfaisants, mais le mérite en revient à mon prédécesseur et aux personnels des différents Services et Ateliers.

Très sollicité par mes chefs et bien secondé par mon encadrement, ce travail de direction me plaît beaucoup, mais il ne m'apporte pas de contact sur le plan des relations extérieures comme à Lannemezan.

En septembre 1986 le Général a été muté et son remplaçant, le Général Cegal a d'emblée bouleversé tout le fonctionnement de l'école.

Cet homme au parler chantant qui dévoile son origine Sud-ouest, possède une stature de rugbyman, un énorme pouvoir de travail personnel et une grande autorité, cependant il est très orgueilleux et ne fait confiance à personne, même à son adjoint direct, le Colonel Obillon qui est pourtant un Ingénieur de grande valeur.

Ce Général très volubile, possède de grandes connaissances sur le fonctionnement de l'Arme du Matériel, mais il laisse à personne le droit de s'exprimer et encore moins de le contredire. Il fait fi des lois et des règlements, détruit systématiquement ce qui existe depuis longtemps dans les us et coutumes de l’École et réorganise tout à sa guise.

Si certains aménagements sont bénéfiques, beaucoup le sont moins. Dans ces conditions de nombreux cadres supérieurs demandent leur mutation, voire leur mise à la retraite, ils sont remplacés par des hommes choisis par le Général.

Des mutations internes ont été effectuées, au mépris des qualifications souvent inadaptées aux nouveaux emplois. Le but recherché est visible : diviser pour régner !... En 32 ans de service dans l'Armée, j'ai connu différents chefs, différentes méthodes de commandement, mais je n'ai jamais vu à ce point de telles contraintes s'exercer en profitant du pouvoir hiérarchique. De l'homme du rang au plus gradé, tous subissent sans pouvoir s'extérioriser, tout le monde temporise en attendant une mutation plus accueillante...

Bien que près de l'âge de la retraite, je suis moi aussi confronté à ce despote, mais mon expérience et mon ancienneté ont joué en ma faveur et je n'ai pas été déplacé comme beaucoup de mes camardes. Cependant la réorganisation de l’École a touché également les services techniques, quelques branches sont devenues autonomes et une hiérarchie nouvelle a été instituée entre l’État Major et moi. Comme tous les Chefs de services, mon autorité n'est plus reconnue, mais ce qui me peine le plus est de ne plus pouvoir épauler mes subalternes comme auparavant.

Cependant le Général a montré ses réelles qualités de cœur à la suite de deux décès survenus lors d'un accident routier. Sa compassion vis à vis des familles et l'aide qu'il leur a apporté ont été remarquables.

Petit à petit, nous avons compris que cet homme faisait fi des lois et des règlements parfois surannés, pour rechercher et obtenir de ses subordonnés une perfection et une meilleure adaptation aux techniques sans cesse nouvelles et également pour pallier la politique de déflation en personnels et en deniers.

Ayant appris ( je ne sais comment ) ma passion pour les champignons, le Général m'a demandé de commenter un cours avec projections, sur la mycologie, à tous les Officiers et Sous-officiers de l’École. Il assista à mon exposé et a conclu en disant :

- "Messieurs, non seulement ces connaissances peuvent vous servir un jour pour votre survie, mais dans la vie de tous les jours elles doivent vous permettre d'apprécier à leur juste valeur ces mets de la nature en toute quiétude."

Le 1er juin 1988 j'ai obtenu ma mise à la retraite de l'Armée, à cette occasion j'ai été invité à un banquet avec tous mes camarades Officiers. Au cours du repas, présidé par le Général, celui-ci m'a offert un gros livre sur l'Armée d'Afrique 1830-1962 qu'il a dédicacé comme suit :

- "A mon cher Commandant CHAUVIGNÉ (Lieutenant-colonel de réserve ).

Merci pour l'aide dans un métier fréquemment soumis à des contraintes de changement en raison des exigences du temps. Pas de bonne retraite... mais l'étude des champignons ( ou plutôt la révision) et la fréquentation de l'Amicale."

Ce livre est une page d'histoire non passéiste pour nous du Matériel car on ne se nourrit que de FUTUR en assurant le PRÉSENT.

Mais rien ne saurait arrêter notre goût pour la culture en comparaison directe des exigences accrues des TECHNIQUES.

Pour l'ÉQUILIBRE au CENTRE de FRANCE.

Et encore une fois MERCI et à bientôt. "


Ainsi je quitte après 35 ans de service le métier des Armes que j'ai commencé comme 2e Canonnier Servant Tireur ( en abrégé C.S.T. ) et que je termine également C.S.T. ( Chef des Services Techniques )...

La boucle est bouclée.




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