Jacques ✎ - Gaius Rufus
LES MERCENAIRES DE GAIUS RUFUS
Roman de Germaine et Jacques BOURLAUD
Roman de Germaine et Jacques BOURLAUD
C’ÉTAIT à l’époque où TITUS FLAVIUS DOMITIEN régnait sur LA VILLE et LE MONDE.
AULUS QUIRINIUS était alors gouverneur de la Thessalie. Il avait établi sa résidence à Larissa, à l’entrée de la Vallée de Tempée, dans la plaine du Pénée, là où s’étalaient encore les vastes domaines des éleveurs de chevaux qui avaient donné au pays sa réputation séculaire .
Séparés du reste de la Grèce par une ceinture de montagnes, ayant été plutôt orientés au cours de l’histoire vers leurs voisins de Macédoine ou même d’Asie, les Thessaliens avaient su garder des coutumes d’autrefois. Aussi, malgré l’emprise déjà ancienne de l’administration romaine, le prestige des castes aristocratiques était-il grand chez eux.
Si les villes étaient peuplées de commerçants et d’artisans d’origine étrangère, dans les campagnes les grands seigneurs hautains, qui prétendaient tous descendre des compagnons d’ACHILLE, formaient avec leurs familles et leurs esclaves des sociétés très fermées où il était bien difficile de pénétrer
.
A la faveur de cet état d’esprit et ayant voulu renouer une antique tradition, un proconsul d’Achaïe avait décidé, quelque cinquante ans auparavant, de lever un corps de cavalerie chez les Thessaliens. Il avait suffi alors de flatter un peu leur vanité et de rappeler les exploits de leurs ancêtres pour voir les fils des meilleures familles s’y enrôler avec enthousiasme.
Ainsi s’était constituée une unité d’élite, l’Aile Thessalienne, qui avait manifesté sa valeur sur plusieurs champs de bataille, notamment en Orient et en Thrace. Peu à peu la structure de cette troupe avait été modifiée et le recrutement s’était étendu à toute la Grèce. Puis deux escadrons levés dans d’autres provinces de l’Empire étaient venus la renforcer.
Enfin, plus tard, l’adjonction de quelques cohortes de fantassins avait transformé le corps en une légion spéciale de mercenaires rattachée directement au proconsul d’Achaïe et, par lui, à César.
Général médiocre, mais créature de DOMITIEN, le légat GAÏUS RUFUS se trouvait placé à sa tête en ce temps-là, pendant que la Légion Mercenaire, ayant achevé une campagne de trois ans en Pannonie, se dirigeait vers Larissa, son objectif éloigné, parcourant sans hâte les routes de Mésie .
Or l’automne était déjà bien avancé dans ce pays .
Le jour commençait à décliner ; sous un ciel terne des rafales de vent lançaient sur un rythme monotone soit de courtes averses glacées, soit des tourbillons de feuilles mortes .
HELIODORE, le porte-enseigne, sortit de la tente du chef de cavalerie . Evitant de marcher dans la boue, il fit quelques pas sur le terre-plein étayé par un assemblage de rondins qui prolongeait le seuil de la tente. Il jeta un regard désabusé sur l’alignement des abris de toile ou de branchages entassés entre la boucle du fleuve et le remblai hâtivement construit où s’agitaient quelques sentinelles.
HELIODORE soupira. Viminatium … c’était la fin de toutes leurs misères ; l’endroit où l’on allait entrer en contact avec la Douzième Légion et lui abandonner le lourd matériel de siège que l’on traînait depuis quelques mois. Puis, dès que le temps le permettrait, la Douzième Légion prendrait la relève et partirait en campagne à son tour, tandis que la Légion Mercenaire franchirait les cols de Thrace et de Macédoine pour se retrouver en Thessalie aux premiers beaux jours.
Mais il fallait l’atteindre cette place forte de Viminatium
.
C’était au demeurant une assez piètre bourgade que l’imagination d’HELIODORE paraît de toutes les séductions … Sans doute les distractions y seraient-elles bien rares et peu dignes d’un porte-enseigne de cavalerie. En revanche les magasins à vivres de l’Armée y étaient bien remplis, ce qui améliorerait l’ordinaire et il y aurait de l’orge de bonne qualité pour les chevaux. Enfin les arriérés de solde y seraient versés ce qui permettraient de remettre à neuf équipement et harnachement et de faire ainsi elle figure pour le retour au pays.
Mais tout cela était encore lointain ! Il faudrait bien une dizaine de jours pour arriver à Viminatium car on n’avançait pas vite avec les fantassins, les chariots où s’entassaient les familles des soldats barbares et tout ce matériel de siège aussi encombrant qu’inutile. En suivant le fleuve, on risquait en cette saison de s’enliser dans les marécages Quant à la route des collines, son insécurité s’affirmait puisque d’importantes troupes de Daces avaient été signalées dans les parages. C’était pourquoi la Légion Mercenaire attendait retranchée depuis quelques jours dans cette boucle du fleuve.
HELIODORE interpella un esclave qui passait devant lui.
- GORGIAS ! Le maître envoie chercher les préfets des escadrons pour le rapport As-tu préparé du vin chaud et des galettes, comme d’habitude ?
- Tout est prêt, fils d’EUCRATES.
Une brume légère montait du marécage et, plus loin vers la droite, un grand vol de canards sauvages tournoyaient dans le ciel . HELIODORE regardait les oiseaux, admirant leur formation régulière. iI se rappelait les matins lumineux de Thessalie où il se glissait au milieu des roseaux pour surprendre les canards posés sur un bras du Pénée et leur décocher une flèche.
Puis il songea tout à coup à un porte-enseigne originaire d’Etrurie qui servait dans les centuries que l’on avait laissées à Sirmium. Car cet homme lui avait assuré qu’un vol d’oiseaux sur la droite était le présage d’un événement favorable. HELIODORE n’y croyait guère mais toutefois cette pensée le réconforta.
Il assujettit sur sa tête son casque à aigrette blanche, rejeta sur l’épaule droite un pan de son manteau blanc, découvrant ainsi sa cuirasse à écailles imbriquées. Puis il s’avança d’un pas rapide l’air satisfait, vers le magnifique cheval gris qu’un palefrenier lui amenait à cet instant.
Ses yeux se portèrent avec complaisance sur le poitrail musclé et les attaches délicates de sa monture qui s’ébrouait en secouant sa crinière sombre. Une bouffée d’orgueil emplit le cœur du porte-enseigne. Car lui, HELIODORE, descendant d’esclaves affranchis, possédait un cheval de combat dont les origines étaient les mêmes que celles de l’étalon de TILMACHOS, le chef de cavalerie Et pourtant la famille de TILMACHOS pouvait se vanter d’être issue d’une fille de PATROCLE.
Quand HELIODORE reviendrait en Thessalie il y aurait plus d’une belle fille pour le regarder avec admiration. Il devait, bien sur, son ascension au fait que son père était l’intendant de TILMACHOS ais cependant sa valeur sous les armes était connue de tous et nul n’aurait songé à la contester.
Ayant jeté un coup d’œil à celui qui tenait le cheval par la bride et dont les jambes étaient frileusement emmitouflées, le porte-enseigne lui dit en plaisantant :
- C’est le tailleur gaulois qui t’a fait ces « bracae », comme ils disent ! Combien l’as-tu payé ? N'as-tu pas pour cela, volé une couverture aux chevaux ?
Sans attendre la réponse,Héliodore sauta en selle avec souplesse et il s’en alla au trot .
Général médiocre, mais créature de DOMITIEN, le légat GAÏUS RUFUS se trouvait placé à sa tête en ce temps-là, pendant que la Légion Mercenaire, ayant achevé une campagne de trois ans en Pannonie, se dirigeait vers Larissa, son objectif éloigné, parcourant sans hâte les routes de Mésie .
Or l’automne était déjà bien avancé dans ce pays .
Le jour commençait à décliner ; sous un ciel terne des rafales de vent lançaient sur un rythme monotone soit de courtes averses glacées, soit des tourbillons de feuilles mortes .
HELIODORE, le porte-enseigne, sortit de la tente du chef de cavalerie . Evitant de marcher dans la boue, il fit quelques pas sur le terre-plein étayé par un assemblage de rondins qui prolongeait le seuil de la tente. Il jeta un regard désabusé sur l’alignement des abris de toile ou de branchages entassés entre la boucle du fleuve et le remblai hâtivement construit où s’agitaient quelques sentinelles.
HELIODORE soupira. Viminatium … c’était la fin de toutes leurs misères ; l’endroit où l’on allait entrer en contact avec la Douzième Légion et lui abandonner le lourd matériel de siège que l’on traînait depuis quelques mois. Puis, dès que le temps le permettrait, la Douzième Légion prendrait la relève et partirait en campagne à son tour, tandis que la Légion Mercenaire franchirait les cols de Thrace et de Macédoine pour se retrouver en Thessalie aux premiers beaux jours.
Mais il fallait l’atteindre cette place forte de Viminatium
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C’était au demeurant une assez piètre bourgade que l’imagination d’HELIODORE paraît de toutes les séductions … Sans doute les distractions y seraient-elles bien rares et peu dignes d’un porte-enseigne de cavalerie. En revanche les magasins à vivres de l’Armée y étaient bien remplis, ce qui améliorerait l’ordinaire et il y aurait de l’orge de bonne qualité pour les chevaux. Enfin les arriérés de solde y seraient versés ce qui permettraient de remettre à neuf équipement et harnachement et de faire ainsi elle figure pour le retour au pays.
Mais tout cela était encore lointain ! Il faudrait bien une dizaine de jours pour arriver à Viminatium car on n’avançait pas vite avec les fantassins, les chariots où s’entassaient les familles des soldats barbares et tout ce matériel de siège aussi encombrant qu’inutile. En suivant le fleuve, on risquait en cette saison de s’enliser dans les marécages Quant à la route des collines, son insécurité s’affirmait puisque d’importantes troupes de Daces avaient été signalées dans les parages. C’était pourquoi la Légion Mercenaire attendait retranchée depuis quelques jours dans cette boucle du fleuve.
HELIODORE interpella un esclave qui passait devant lui.
- GORGIAS ! Le maître envoie chercher les préfets des escadrons pour le rapport As-tu préparé du vin chaud et des galettes, comme d’habitude ?
- Tout est prêt, fils d’EUCRATES.
Une brume légère montait du marécage et, plus loin vers la droite, un grand vol de canards sauvages tournoyaient dans le ciel . HELIODORE regardait les oiseaux, admirant leur formation régulière. iI se rappelait les matins lumineux de Thessalie où il se glissait au milieu des roseaux pour surprendre les canards posés sur un bras du Pénée et leur décocher une flèche.
Puis il songea tout à coup à un porte-enseigne originaire d’Etrurie qui servait dans les centuries que l’on avait laissées à Sirmium. Car cet homme lui avait assuré qu’un vol d’oiseaux sur la droite était le présage d’un événement favorable. HELIODORE n’y croyait guère mais toutefois cette pensée le réconforta.
Il assujettit sur sa tête son casque à aigrette blanche, rejeta sur l’épaule droite un pan de son manteau blanc, découvrant ainsi sa cuirasse à écailles imbriquées. Puis il s’avança d’un pas rapide l’air satisfait, vers le magnifique cheval gris qu’un palefrenier lui amenait à cet instant.
Ses yeux se portèrent avec complaisance sur le poitrail musclé et les attaches délicates de sa monture qui s’ébrouait en secouant sa crinière sombre. Une bouffée d’orgueil emplit le cœur du porte-enseigne. Car lui, HELIODORE, descendant d’esclaves affranchis, possédait un cheval de combat dont les origines étaient les mêmes que celles de l’étalon de TILMACHOS, le chef de cavalerie Et pourtant la famille de TILMACHOS pouvait se vanter d’être issue d’une fille de PATROCLE.
Quand HELIODORE reviendrait en Thessalie il y aurait plus d’une belle fille pour le regarder avec admiration. Il devait, bien sur, son ascension au fait que son père était l’intendant de TILMACHOS ais cependant sa valeur sous les armes était connue de tous et nul n’aurait songé à la contester.
Ayant jeté un coup d’œil à celui qui tenait le cheval par la bride et dont les jambes étaient frileusement emmitouflées, le porte-enseigne lui dit en plaisantant :
- C’est le tailleur gaulois qui t’a fait ces « bracae », comme ils disent ! Combien l’as-tu payé ? N'as-tu pas pour cela, volé une couverture aux chevaux ?
Sans attendre la réponse,Héliodore sauta en selle avec souplesse et il s’en alla au trot .