Amérique 🗽 - La vie quotidienne des émigrés français en Acadie
Comment ces Français vivent-ils en Acadie ? Quel est leur habitat ? Que mangent-ils ? Telles sont les questions que nous abordons dans cet article sur la vie quotidienne des français émigrés en Acadie, particulièrement à Port-Royal (Annapolis Royal) dans les premières années de leur installation. Le sujet étant vaste, nous nous limitons à quelques fragments de leur quotidien. Pour en savoir plus, veuillez vous référer aux sources et bibliographies citées dans ce document.
Qui sont ces Acadiens ?
Port-Royal, colonie française, sera restituée à l’Angleterre en 1713 par le traité d’Utrecht. La ville prendra le nom d’Annapolis Royal.
Port-Royal, une terre riche en marais, au sol fertile
La ville de Port-Royal, située aujourd’hui sur la côte de la baie de Fundy en Nouvelle-Écosse, est entourée à l’époque de marécages et de forêts. Les colons constatent, après avoir défriché les terres boisées, que celles-ci ne donnent pas de bonnes récoltes. Le grain est difficile à lever malgré les efforts et la ténacité de chacun. Aussi, se tournent-ils vers la mer pour assécher les marais. Des digues nommées aboîteaux seront érigées pour repousser les limites de la mer. Ce travail se réalise lorsque les marées ne sont pas trop fortes. La construction et l’entretien des aboîteaux tissent un réseau de solidarité entre les habitants. Œuvre collective, tous s’y mettent, les hommes, les femmes et les enfants. Le labeur sera vite récompensé car dès la seconde année de construction d’une digue, la récolte produira de bons résultats.
« La levée ou digue que l’on désigne toujours sous le nom d’aboiteau consiste en un rempart en bordure des eaux pour empêcher ces dernières de monter sur la terre alluviale appelée « pré ».
Cette digue est percée au ras du sol, vis-à-vis des rigoles qui assèchent les terres, par des clapets qui laissent passer l’eau d’égouttement. Le clapet s’ouvre à marée basse, sous la pression de l’eau venant des terres, et se referme à marée montante. [1] »
La technique des digues se pratique dès 1632 en Acadie. La colonie compte des sauniers originaires du Poitou et des côtes de l’ouest de la France qui maîtrisent cette technique. Les marais asséchés permettent de récolter le sel indispensable pour conserver la morue et les denrées. Rien n’est perdu : le foin sauvage est récupéré pour nourrir les animaux lors de la saison froide [2]. Une fois récoltées, les meules de foin sécheront sur des supports en bois surélevés appelés chafauds.
L’agriculture occupe une bonne partie de la population même chez les artisans. A titre d’exemple, Charles Orillon dit Champagne, natif de la ville de La Flèche, France, est en Acadie vers 1697 en tant que soldat maçon, puis maçon. Il possède quelques années plus tard un quart d’arpent de terre en valeur, deux bêtes à cornes, 2 bêtes à laine, 1 cochon et 1 fusil [3]. Tous ne logent toutefois pas à la même enseigne. Certains possèdent un petit lopin de terre et quelques bêtes, d’autres se distinguent par le nombre d’arpents de terres en valeurs et cultivées et un cheptel diversifié [4]. Quoique de faibles dimensions, les terres situées près des marais offrent un meilleur rendement. L’Acadie exporte ses excédents vers l’Île Royale et dans les colonies américaines. Un commerce illicite s’effectue entre les Acadiens d’Annapolis Royal, capitale de la Nouvelle-Écosse [5] (possession anglaise) et l’Ile Royale (territoire français). Le bétail, les céréales et les fourrures sont acheminés par bateaux jusqu’à Louisbourg.
Les terres regorgent de céréales, de blé, de froment, d’orge, d’avoine et de seigle. Chaque maisonnée possède un jardin où pousse une variété de légumes : carottes, betteraves, navets, choux pommés, citrouilles, oignons, concombres... Les choux, une fois poussés sont arrachés de la terre. La partie comestible est renversée dans le sol en guise de préservation, technique que l’on utilise encore en Bretagne. Garde-manger, la neige recouvre certains légumes durant la saison froide. La cuisinière prélève alors la quantité nécessaire pour nourrir la famille.
« Les enfants s’en frippent les babines [6] »
La saison préférée des enfants est celle des « grainages » : groseilles, framboises, cerises, pommes, poires et autres fruits.
Pour cultiver, l’habitant utilise les outils traditionnels de la ferme : la charrette à deux roues, la charrue à rouelles ou à défaut, des bœufs qui servent de bêtes de trait. Le bétail du pauvre se compose de quelques bêtes à cornes, de cochons, de volailles et de brebis [7]. Le cheval utilisé en Acadie vers 1665 est une bête relativement chère pour l’époque. Seuls les colons bien lotis peuvent se permettre une telle acquisition. Les quelques recensements dépouillés par nos soins, ceux de 1671 et 1701, ne mentionnent pas de manière explicite des chevaux dans la composition du cheptel.
Le temps marqué par les saisons
Le climat conditionne l’activité des habitants. Les hivers s’étalent sur cinq à six mois en moyenne. Durant cette période, le froid est continu. La neige, souvent poussée par des vents violents, s’amoncelle en nuages nommés « poudrilles ». Tête baissée, chacun va son chemin muni de raquettes. La fin de l’hiver enfin arrivée, certains sortent leurs chaloupes pour aller à la pêche.
Au retour du printemps, tous vaquent à leur occupation. Certains ensemencent la terre, d’autres sèchent la morue. L’été achevé, la moisson est un travail partagé par tous. Puis, l’automne arrive avec les arbres formés de bouquets de couleurs vermillon, bouton d’or, vert forêt, orange créole. Les hommes agrippent leur mousquet sur la porte de leur chaumière et partent chasser les renards, les castors, les orignaux ou les élans. Chaque morceau d’une bête a son utilité : la graisse prélevée servira à faire de l’huile à brûler pour s’éclairer. La viande ravira les convives. La peau servira à fabriquer des manteaux et des souliers sauvages.
Empruntant aux autochtones les procédés de fabrication des mocassins, le sabot, guère adapté au climat, fera place aux souliers de peau. [8].
Fabrication des souliers de peau« ...on préférait la peau d’une vieille vache, car elle était plus épaisse donc plus étanche et plus durable. On l’étendait bien raide et on la clouait tout autour, sur un mur. Au fur et à mesure qu’elle séchait on l’entendait craquer. Lorsque la peau était bien sèche, on la roulait, avec le poil encore dessus. On déroulait la peau, on la raclait avec un couteau ou un morceau de vitre pour enlever le poil et le gras. Puis, on taillait la peau. ».
La pêche
L’hiver terminé, les chaloupes se remettent à flot pour pêcher. La pêche se pratique tout le long des côtes acadiennes. L’un des ports maritimes les plus actifs se trouve sur l’île Royale, à Louisbourg, mais Port-Royal possède également un port dont l’activité n’est pas à négliger.
Les eaux sont riches en poissons : éperlan, plie, morue, maquereau, esturgeon, bar, anguille, sardine, truite, saumon... Le pêcheur utilise la picasse pour ancrer les filets de poisson.
Ces picasses sont construites avec une roche plate, du bois et une corde.
Le pêcheur attache un bout du filet de telle manière qu’il puisse tourner avec le courant de la marée. Une douzaine de filets sont plongés le soir et relevés le matin en tirant sur la corde.
Selon les régions, les techniques de pêche diffèrent. A Plaisance, les pêcheurs utilisent des biscaïennes - embarcations à rame se terminant en pointe de part et d’autre - ou encore des charrois - grandes chaloupes utilisées sur les bancs de Terre-Neuve pour transporter la morue -. La saison de la pêche se pratique à Plaisance en juin, juillet et août. En revanche, sur la côte est de l’Acadie, la saison de la pêche débute dès le mois de mars et se termine aux environs de Noël.
La pêche à la morue profite surtout aux pêcheurs français : « Au cours de la période 1725-1735, près de 300 navires de pêche quittèrent annuellement les ports français pour la même destination, avec à leur bord de 7500 à 10500 marins [9]. »
L’habitat
Pour construire leurs maisons, les habitants disposent des ressources sous la main : la terre, la paille, le bois et leur savoir-faire ! Les maisons sont érigées en terre battue et en bois, l’intérieur est lambrissé de planches. Le toit est couvert de chaume ou de bardeaux en sapin. Des chevilles en bois remplacent les clous qui coûtent trop chers. Les générations successives innovent en construisant des maisons de pierre plus aptes à se prémunir du feu. Les maisons ne comportent qu’un rez-de-chaussée. Par la suite, elles seront dotées d’un étage. Un autre type de construction répandue à Port-Royal au XVIIIè siècle est la maison de torchis ou maison bousillée. Le bousillage est un mélange de terre grasse et de paille ou de foin coupé, le tout fixé entre les nervures de la charpente.
L’espace étant limité, chacun à sa place comme les objets de la maison. Les coffres servent à ranger les vêtements, les ustensiles, la vaisselle et peuvent servir de siège. Suspendus au mur, le mousquet et la corne à poudre, sont aussitôt déposés lorsque l’on rentre d’une bonne journée ou au départ tôt le matin.
Tous à table...
Autour de la table, taillée en sapin, les têtes blondes prennent place sur les bancs.
Les rudiments de la cuisine sont transmis par tradition orale, la plupart des habitants ne sachant ni lire ni écrire. On apprend à cuisiner en regardant sa mère et en participant à ses côtés à la préparation des mets. Point de recette de cuisine. Les sens guident l’élaboration des plats. Le goût, l’odorat et le toucher émoustillent les saveurs et prononcent le verdict de la cuisson. Pour savoir si un plat est cuit à point,la cuisinière n’hésite pas à toucher et à sentir les aliments avec des mains plus ou moins propres.Que mange-t-on ?
• Des ragoûts, des soupes aromatisés avec des herbes comme le persil, la sauge, le thym, cerfeuil, laurier.
• Le pain est l’élément le plus important de l’alimentation.
• De par la richesse des cours d’eau et de la mer, la morue, le saumon, le flétan, l’anguille sont consommés.
• La chasse contribue à diversifier également les mets ; les gibiers à plumes tels que le canard colvert, l’oie, la perdrix..., l’orignal, le caribou.
• La volaille est également fort appréciée
• Des familles plus à l’aise mangent du bœuf. Ils sont tués au début de l’hiver. La viande est découpée en quartiers puis salée pour être conservée. L’esturgeon à la sauce de poulets fricassés est présent sur la plupart des tables.
La cuisson se fait dans la cheminée. Les pots en fer forgé sont lourds à soulever. Aussi doit-on s’accroupir et tirer de tout son poids pour les extraire du feu. Ce feu est allumé et entretenu de l’aube jusqu’au soir. Une fumée odorante se répand dans l’unique pièce qui fait office de salon, de cuisine et de chambre. L’odeur des mets se mélange à celle des corps et du bois brûlé. Cela vous met-il en appétit ? Sans cesse, il faut remuer les plats, surveiller, transporter de lourdes bassines sur le sol en terre battue.
Les habitants doivent sécher et saler les denrées périssables en l’absence d’équipements de conservation. Les épices assez répandues empêchent le pourrissement des poissons et de la viande. La cuisinière agrémente ses plats de thym, de cerfeuil, de laurier. Une fois séchés, salés ou épicés, les aliments sont entreposés. Ils seront mangés durant l’hiver. L’eau est tirée du puits. Elle est vite tarie par la proximité des latrines. Certains ont un léger penchant pour la bière d’épinette fabriquée avec de l’eau bouillie, des bourgeons d’épinette, de la mélasse et du levain. Ce mélange fermente pendant deux à trois jours pour obtenir une boisson claire qui n’est pas mauvaise au goût.
La vaisselle, les ustensiles, les vins, les bijoux, les étoffes arrivent de France. Les Antilles françaises fournissent entre autre du rhum, du sucre, de la mélasse, des épices. Le négoce inter colonial décupla entre 1715 et 1789, malgré la domination anglaise avec les pays européens. Cet essor est dû en partie à l’intendant Gilles Hocquart [10] qui favorisa les exportations de denrées, de poissons et de fourrures.
La médecine populaire
Le commerce maritime et la proximité des ports véhiculent des maladies contagieuses en provenance de l’Europe et des Indes occidentales : la peste (1709), la variole (1732), la dysenterie (1745), le typhus (1757) font des ravages. Le taux de mortalité reste élevé chez les nourrissons et les enfants. Les décès sont provoqués par les maladies infectieuses et les piètres conditions d’hygiène. Durant ces périodes d’épidémie, un enfant sur cinq meurt avant d’avoir atteint l’âge de douze ans. Les gens de l’époque se lavent les mains et la figure, mais ils ont peur de se plonger dans l’eau par crainte de l’insalubrité et du froid.
Les maux qui sévissent le plus fréquemment sont le rhume, la grippe, le mal de dents, les abcès et les ulcères. Port-Royal compte parmi sa population des chirurgiens militaires et civils. Les chirurgiens civils s’occupent des habitants et traitent un grand nombre de maladies. Les chirurgiens militaires soignent uniquement les soldats et les officiers. Dès les débuts de la colonisation, Port-Royal a un apothicaire nommé Louis Hébert Poutrincourt. Il quitte La Rochelle le 11 mai 1606 à destination de l’Acadie.
Quels sont les remèdes ? [11]
• Mal de dents : Enduire la dent malade de fumier de vache ou de vinaigre
• Mal d’oreilles : Souffler de la fumée dans l’oreille ou encore faire couler du jus d’oignons salés directement dans l’oreille
• Mal aux yeux : Mettre du sucre blanc dans l’œil
• Mal de gorge : Boire du miel de roses (bouillir des pétales de roses dans de l’eau sucrée) ou encore appliquer du hareng cru sur la gorge
Les habitants se déplacent constamment pour la moindre activité qui martèle les jours. Chercher l’eau, ramasser le bois, accompagner les bêtes dans les champs, participer aux aboîteaux, aux moissons, aller au village...Que d’occasions pour retrouver nos ancêtres au gré de leur quotidien.
o Blog Michèle Champagne : pour lire mes nouvelles...
o Les émigrés français en Acadie : leur patrimoine
o Les émigrés français en Acadie : leur vie quotidienne
o Charles Orillon dit Champagne, un Acadien réfugié au Québec
o D’Émigrés à Réfugiés, les Français en Acadie - XVIIe-XVIIIe siècles : les Engagés
Pour en savoir plus :
[1] Vie de nos ancêtres en Acadie L’Agriculture, sous la direction de Paul Doucet, Nouveau-Brunswick : Editions d’Acadie, 1982, page 9.
[2] Pour en savoir plus sur les aboîteaux, consulter le site Musée virtuel du Canada, Les aboîteaux en la vieille Acadie
[3] Recensement d’Acadie 1671-1752, Archives du Canada, Archives des colonies, série G vol. 466 1-Amérique du Nord, Acadie, Recensements
[4] Sur le patrimoine des colons : Michèle Champagne, « Les émigrés français en Acadie, leur patrimoine »
[5] Annapolis Royale est la capitale de la Nouvelle-Écosse jusqu’en 1749. La ville perdra son statut suite à la fondation d’Halifax en 1749. Cette décision de transférer la capitale d’Annapolis Royal à Halifax est motivée par la volonté des autorités anglaises de « britanniser » la Nouvelle-Écosse pour rivaliser ainsi avec sa rivale française Louisbourg (situé sur l’île Royale)
[6] « Les enfants s’en frippent (lèchent) les babines (lèvres) » , in : Vie de nos ancêtres en Acadie L’Agriculture, sous la direction de Paul Doucet, Nouveau-Brunswick : Editions d’Acadie, 1982, page 20.
[7] Sur le patrimoine des colons : Michèle Champagne, « Les émigrés français en Acadie, leur patrimoine »
[8] Extrait du Guide touristique officiel Acadien 2003, « Découvrir l’Acadie de la Nouvelle-Ecosse », Journal « Le Courrier de la Nouvelle-Ecosse », Eté 2003 ; page 28.
[9] D. Miquelon, “New France 1701-1744 : A supplement to Europe”, Toronto : McLelland and Stewart, 1987, p. 115.
[10] Gilles Hocquart est né en 1694 en Mortagne-au-Perche, en France. Il faisait partie du personnel de la marine. Il devient commissaire, ordonnateur et intendant de la Nouvelle-France en 1729. Il restera en poste jusqu’en 1748. Il décède à Paris le 1er avril 1783.
[11] D’après J. Alphonse Deveau, Extrait du Guide touristique officiel Acadien 2003, « Découvrir l’Acadie de la Nouvelle-Ecosse », Journal « Le Courrier de la Nouvelle-Ecosse », Eté 2003 ; page 6.