À la guerre ⚔️ - 1940 La campagne des Flandres du lieutenant Louis Bourlaud
Campagne du 13 mai au 26 juin 1940
Extraits des carnets de campagne du Lieutenant : Louis Bourlaud
14e batterie du 5e groupe du 212e RALD
Colonel Tatou commandant le 5e groupe
Capitaine Montargès commandant la 14e batterie
Lieutenant Bourlaud à la 14e batterie
Sous-lieutenant Degoy à la 14e batterie
Lundi 13 mai 1940
Nous quittons la Champagne et Chavot, après 3 mois ½ de repos pendant lesquels nous avons pu apprécier les crus locaux. L’impression est que cette fois-ci la guerre commence, nous avons confiance.
L’embarquement de la 14e batterie s’effectue à Avize dans de bonnes conditions. En fait nous ne connaissons pas au départ notre destination, aussi les hypothèses sont-elles variées.
Mardi 14 mai 1940
Départ à 3h, l’embarquement s’était effectué sans trop de difficultés.
Des bruits de bombardements commencent à circuler, Epernay aurait été atteint, ce qui nous amuse car nous en venons. Reims aussi, que nous traversons au matin, aurait souffert de l’aviation boche. Nous ne constatons aucun dégât. Nous passons à Saint-Quentin ce qui me rappelle qu’il existe une CGFT, j’ai le souvenir d’une église ou d’un château perché sur la colline, dominant la ville.
Du train nous apercevons de beaux entonnoirs de part et d’autre de la voie ; dans un camp d‘aviation, les trous sont nombreux mais aucun avion ne s’y trouve. Le terrain est inutilisable. Nous n’y attachons pas autrement d’importance.
Près d’Aulnois, d’énormes entonnoirs ont été creusés par des bombes d’avion, la voie et les ponts ont été atteints. Des équipes travaillent au rétablissement du trafic.
Des bruits, décidément, il en circule pas mal, de destruction du train précédent contenant des artilleurs se précisent et font réfléchir certains. Nous apprenons après coup que nos camarades du 212e ont cru un certain temps que nous étions parmi les victimes. En réalité il s’agissait d’un train de chasseurs attaqué à la bombe et à la mitrailleuse, une bombe avait fait une dizaine de tués. Nous avons vu le train en gare d’Aulnois, évidemment c’était du travail bien mené.
A 16h, débarquement à Hautmont près de Maubeuge. La ville est pleine de vie, les gens paraissent insouciants. Nous sommes survolés en cours de déplacement par une escadrille allemande, combat aérien incertain ; je fais abriter les hommes dans un chemin creux en attendant la fin de la bagarre, puis nous repartons en direction de Ferrière-la-Grande où nous arrivons vers 20h. On me signale des blessés civils aux environs.
Les hommes installés, nous nous préoccupons de nous mêmes, mangeons vers 22h30 ; à 23h nous nous couchons. J’ai la chance, dans une maison avec salle de bain, je m’en réjouis à l’avance.
Mercredi 15 mai 1940
Malheureusement à 1h réveil en fanfare, nous quittons le cantonnement à 3h. Adieu la salle de bain et les délices que j’en attendais …
Il s’agit de traverser la Sambre avant le jour pour aller en Belgique.
Le groupe part à 3h30, immédiatement se produit un encombrement effarant sur la route, tous les groupes, toutes les unités en mouvement veulent passer la Sambre avant le jour. Inutile de penser à se mettre en DCA. Nous finissons par passer la Sambre à 7h sous la protection de nos avions et de la DCA. Nous assistons à de beaux tirs groupés sur des avions boches qui n’insistent pas.
Après Jeumont, la 14e batterie entre en Belgique à Erquelinnes qui vient d'être bombardée. La route est utilisée dans un sens par le dispositif militaire qui avance en rangs serrés, artilleurs, fantassins et personnel du génie plus ou moins mélangés. Dans l'autre sens, il y a un lamentable cortège de Belges encombrés de bagages qui fuient l’invasion de leur pays par l'armée allemande.
Pendant toute la journée, nous continuerons à offrir aux Allemands une cible de premier choix, aucun avion français ou anglais n’est en vu, il semble que tout soit permis aux Allemands qui ne font rien encore.
A Erquelinnes, les Belges nous avaient offert du chocolat, des cigarettes, des cigares, nous les réconfortions par de bonnes paroles, ils en avaient besoin car la ville vient d’être bombardée.
Vers 11h, la 14e batterie s'installe dans les bois du mont Sainte-Geneviève, à l’Est de Charleroy ; à peine est-elle arrivée, que la route est bombardée par l'aviation allemande ; intervention de la DCA et de chasseurs alliés. La 14e batterie n'est pas atteinte par le bombardement.
Tout le 5e groupe du 212e RALD est concentré près d'un carrefour facilement repérable ; la position de la 14e batterie ne paraît pas très confortable, aussi est-elle aménagée rapidement.
Elle est mise en position d'alerte de 20h à 24h ; le capitaine Montargès est à l'observatoire. A la fin de l'alerte, nous couchons sous la tente à même le sol.
Au cours de l'après midi, des avions boches ont été accueillis par une DCA bien nourrie. Ce qui nous réjouit le cœur. Tout paraît bien aller.
Jeudi 16 mai 1940
Réveil à 4h ; continuation de l'aménagement de la position avec des tranchées, des abris. L'aviation ennemie survole le secteur, la DCA intervient et la repousse ; nous continuons à nous réjouir.
Nous apprenons que la colonne de ravitaillement commandée par le lieutenant Roblot qui appartenait à la 14e batterie lorsque celle-ci était en position en Alsace, a été bombardée dans le village Sainte-Geneviève.
Le sous-lieutenant Degoy passe la nuit à l'observatoire de la 14e batterie, celle-ci étant en position d'alerte de 20h à 24h comme la nuit précédente. Il assiste à la destruction de ponts sur la Sambre à 3 km de notre position. Le PC du groupe intervient plusieurs fois pour faire déclencher des tirs.
La destruction des ponts sur la Sambre nous préoccupe.
Vendredi 17 mai 1940
Réveil à 4h ; un repli de nos troupes derrière la Sambre est envisagé. L'aviation allemande redouble d'activité ; des vagues successives passent ; nous voyons les avions faire des piqués, bombarder, mitrailler les fantassins ; l’impression est puissante. Aucune intervention de notre DCA, ni de de notre aviation. Nous nous demandons pourquoi, la rage au cœur. Les boches insistent, ils ont évidemment la partie belle. Vagues, piqués, explosions, vrombissements, c’est du beau travail.
Vers 10h, nous faisons un accrochage de l’autre coté de la Sambre qui est évacué par notre troupes (4500m). Les autres batteries du groupe en font autant et procèdent à quelques tirs. Nous mêmes effectuons un tir à 23h (28 coups seulement). Le capitaine est à l’observatoire. Les 13e et 15e batteries ont tiré environs 100 coups chacune.
Au cours de l'après midi, des fantassins, puis des artilleurs refluent sur nos positions ; beaucoup l'air hébété ; ils sont sans armes, certains nous parlent des bombardements, des mitraillages qu'ils ont subis : ils paraissent harassés, démoralisés.
J'ai l'impression comme les autres que nous ne tenons pas le coup devant les Allemands, je ne comprends pas pourquoi on ne nous demande pas de tirer.
Brusquement, ordre nous est donné de nous replier rapidement, il est 23h30, le départ doit s’effectuer à 3h le 18. Il faut sortir les pièces du bois après avoir fait le plein d'obus dans les camions ; il n’y a pas de temps à perdre. Nous sommes furieux de laisser sur le terrain une grande partie des munitions qui ont été apportées dans la journée.
Samedi 18 mai 1940
Le Capitaine Montargès rentre de l'observatoire et le départ a lieu vers 3h30 ; la route est encombrée de fantassins, d'artilleurs et de leur matériel. C'est une retraite de l'armée et nous ne comprenons pas ; nous avons l'impression de ne pas avoir eu l'occasion de combattre beaucoup, du moins en ce qui concerne le 5e groupe du 212e RALD.
L'optimiste sous-lieutenant Degoy y voit une vaste manœuvre qui consisterait à attirer l’Allemand sur les fortifications de la ligne Maginot à Maubeuge.
Peut-être a-t-il raison mais je trouve qu'il y a beaucoup trop d'hommes sans arme, trop d'unités qui apparaissent désorganisées …
Il est vrai que la ligne Maginot doit être elle bien garnie et ceci permet l’espoir.
Je pars avec le commandant Breiner et les lieutenants de Rodelek et Schaller des 13e et 15e batteries à la recherche de position de batterie devant Maubeuge. Le repli est donc important.
Nous rencontrons des colonnes de troupes en opération de repli, l'impression est de plus en plus pénible ; les fantassins surtout paraissent en débandade ; les civils fuient, affolés.
Nous comptons passer par Erquelinnes, nous nous engageons dans la ville lorsqu'un commandant du génie nous fait faire demi tour après nous avoir indiqué que les Allemands sont à 25 mètres de l'autre coté de la Sambre. Nous sommes ahuris, je commence à comprendre pourquoi le repli est si rapide ; le flan droit de notre secteur a dû céder.
Les Allemands longent la Sambre pour pouvoir vraisemblablement nous prendre à revers.
Nous faisons le même travail sur l’autre rive, seulement ils vont plus vite que nous.
Nous arrivons à Maubeuge par une autre route sur laquelle des pièces d'artilleries de gros calibre de l'armée belge sont hors d'usage à la suite d'un bombardement ; des voitures déchiquetées sont renversées, des chevaux morts sont restés sur le terrain.
Nous ne pouvons traverser Maubeuge qui vient d'être bombardée ; un énorme entonnoir a été creusé sur la route, il est plein d'eau par la suite de la rupture d'une canalisation d'eau.
Nous contournons Maubeuge et effectuons la reconnaissance des positions de tir possibles au cours de laquelle nous essuyons un tir de mitrailleuse, plat ventre de circonstance, nous pensons qu'il provient de parachutistes à moins qu'il ne s'agisse d'une erreur de soldats français.
Les positions de batterie retenues ne me conviennent pas, mais il faudra quand même les occuper faute de mieux.
Retour vers les batteries, nous repassons dans les faubourgs de Maubeuge où nous sommes encore accueillis par des tirs de mitraillettes sans dommage. Survol d'avions allemands qui nous mitraillent au passage, plat ventre à nouveau dans les orties.
Les batteries finissent par nous rejoindre aux environs de Maubeuge à notre grand soulagement, car nous craignions qu'elles aient eu à souffrir des bombardements, leur déplacement s'effectuant en plein jour.
Des chars allemands sont signalés à proximité, moment d’hésitation : devons nous rester sur place ou devons nous continuer ? Ordre nous est donné de contourner Maubeuge qui est paraît-il maintenant aux mains des Allemands, un fort aurait-il été livré par les communistes ?
Nous allons cantonner dans les bois de la Lanière ; notre exode s'effectue toujours en plein jour ; il y a une concentration énorme de troupes sur la route survolée par moment par l'aviation allemande.
L'arrivée a lieu vers 11h après une marche sans arrêt des batteries du groupe depuis le départ du cantonnement du bois du Mont Sainte-Geneviève à 3h30.
En cours de route, nous assistons au bombardement de Hautmont ; une citerne d'essence est en feu. Je pense aux pauvres gens qui, il y a 3 jours à peine, nous accueillaient de si bon cœur et nous voyaient partir avec l'espoir que nous participerions à la délivrance de la Belgique et la Hollande …
Le 18 mai au soir, la 14e batterie se met en position à la sortie de Flégnie en direction de Maubeuge. 12e RAL et 212e RALD réunis.
Au cours de la nuit, petite attaque allemande dans notre secteur, nos échelons sont bombardés sans dommage.
Nous apprenons qu'il n'y a plus de fantassins entre nous et les Allemands ; dans la journée j'ai vu des Marocains d'une unité de notre division traverser les uns après les autres avec leurs armes notre position calmement et silencieux.
Les batteries doivent se retirer en grande hâte vers 4h le 19 mai sans avoir tiré un coup de canon sur cette position. La liaison avec l’infanterie ne s’était pas établie ! Vraiment il y a des choses inconcevables.
Dimanche 19 mai 1940
A défaut d'infanterie, un canon de 155 du 212e RALD est mis en position de tir sur la route pour arrêter une éventuelle arrivée de chars allemands. Je ne sais s'il a pu rejoindre le groupe par la suite.
Une partie du 12e RAD reste sur place pour faire un môle de fixation, il est commandé par le colonel André qui décide de résister.
Par la suite, un lieutenant qui a pu rejoindre le PC du régiment pour réclamer des munitions a indiqué que le colonel André tenait toujours, qu'il avait pris sous ses ordres des fantassins, des chars et répondait à toutes les attaques allemandes.
Une batterie du 12e RAD commandée par le lieutenant Loiseau a pu échapper, grâce à un gué, à l'étreinte allemande et rejoindre le 5e groupe.
Les ordres sont de rejoindre Bavay puis en cours de route, contre ordre, il faut revenir au bois de la Lanière ; la route nationale sur laquelle la batterie fait demi tour est encombrée de débris de toutes sortes, voitures renversées, chevaux déchiquetés ; un civil qui a été tué n'a pas été enlevé, reste étendu au soleil ; des civils fuient en toute hâte.
Retour au bois de la Lanière que la 14e batterie quitte à nouveau pour aller à Bry.
Le bombardement nocturne sur le bois de la Lanière et aux environs a fait des victimes civiles qui gisent encore en bordure de la route, il y a des femmes et des enfants.
En cours d'étape des avions allemands survolent la route, des bombardements ont lieu sans dommage pour la batterie.
On passe de France en Belgique et inversement au gré de la frontière. A Roisin, une colonne auto est arrêtée sur la place, bloque le passage ; le pilote de l'avion d'observation de l'avion allemand qui survole la route a du se rendre compte de l'embouteillage, des bombardiers allemands surviennent, bombardent, mitraillent le village ; les hommes de la batterie se sont réfugiés dans les maisons voisines ; je suis dans un café accoudé au comptoir, quelques artilleurs couchés derrière le comptoir. C'est la première fois que nous nous sentons directement visés. Pas d'affolement, pas de dégâts pour la batterie, des maisons se sont effondrées.
La colonne auto démarre enfin et se trouve à nouveau sous le feu de l'aviation allemande, un camion de munitions est en feu et c'est une belle pétarade ; de ce fait la route est de nouveau obstruée, la batterie devra prendre une autre route pour aller à Bry.
A Sebourg, on apprend que les ponts de Bry ont été détruits, les allemands occupent le village. La 14e batterie fait demi tour sur la route au milieu d'une cohue invraisemblable ; il arrive des troupes de partout, camions et voitures hippomobiles veulent passer, c'est une pagaille noire qui finit par disparaître petit à petit ; les colonnes auto s'engagent en direction du Quesnay, elles seront bombardées, mitraillées ; une partie sera prisonnière, l'autre fera encore demi-tour ; les colonnes hippomobiles se dirigent vers Valenciennes. La 14e batterie est en tête du groupe et, en l’absence du capitaine Montargès, il m'appartient de conduire le groupe. Je n'ai aucune carte de la région et sur les petites routes que nous empruntons, il n'y a pas de signalisation.
A un certain moment, des coups de feu sont partis d'on ne sait où, j'appelle les servants de la 1ère pièce en tête pour une éventuelle riposte, puis il n'y a plus d'alerte, les servants rejoignent leur poste. Nous poursuivons notre marche, harcelés par des avions allemands qui nous bombardent et nous mitraillent sans dommage heureusement.
Vers 20h nous atteignons Valenciennes où je dois rencontrer un guide qui évidemment n'est pas là. A l’aide d’un infirmier qui connaît un peu la ville, nous suivons les boulevards extérieurs et arrivons en vue d’un pont qu’il s’agissait de traverser pour rejoindre Denain et de là, Haveluy où nous devons cantonner.
Il fait presque nuit, le lieutenant de Rochefort me rejoint, m'indique que les Allemands ne sont pas loin derrière nous et que certains sont déjà en ville et qu'on peut craindre des coups de feu. A peine a-t-il terminé qu'un coup de feu éclate, un deuxième semble partir du pont près duquel nous sommes arrivés et de Rochefort qui ne voyage qu’armé jusqu’aux dents tire un coup de mousqueton. J'appelle les servants de la 1ère pièce et déclenche une fusillade que j'interromps au bout d’un quart d’heure car il n'y a plus que les servants qui tirent.
De Rochefort a belle allure sur son cheval blanc, mousqueton au poing mais les hommes s’énervent et nous risquons des accidents. La nuit est devenue complète, j'engage la colonne sur le pont où nous trouvons les hommes de garde en état d’ivresse. Il se peut à la réflexion que ce soient ces hommes qui nous aient accueillis de la sorte.
Vers 24h, la colonne atteint Denain où je retrouve avec plaisir le capitaine Montargès et le commandant Breiner, ma mission a été remplie.
Le commandant Breiner me dit que nous devons nous hâter car le pont de chemin de fer que nous devons emprunter doit sauter d'un moment à l'autre ; j'ignore où se trouve ce pont.
Lundi 20 mai 1940
La colonne atteint Harveluy à 1h30 ; les hommes sont recrus de fatigue et s'endorment là où ils s’assoient; ils n'ont eu que deux repas modestes et les chevaux n'ont pas été ravitaillés depuis 3 jours. L'artificier André est tombé du camion sur lequel il dormait en cours d'étape et a eu un pied écrasé par une roue du camion. Il est évacué.
A peine sommes nous arrivés, qu'un ordre de départ est donné pour aller à Somain – départ à 3h arrivée à 6h.
Le QG de la division est à Somain. Les civils fuient, les magasins sont ouverts aussi bien par les hommes de troupe que par les civils qui sont encore là ; le pillage est déjà établi lorsque nous arrivons, c'est vraiment lamentable.
Départ vers 12h en direction de Villers Campeau, village voisin ; la 14e batterie retrouve les échelons dont elle était séparée depuis son départ du bois de la Lanière.
Toute la batterie est logée dans l'école. Après un bon repas, nous allons nous coucher, nous nous endormons comme des souches, nous sommes vraiment fatigués. Le sous-lieutenant et moi sommes dans une chambre à deux lits jumeaux (sous l’effet de la fatigue sans doute, nous avons une crise de somnambulisme collective le capitaine, Degoy et moi).
Vers 20h, alors que nous allions dîner, l'ordre de départ est donné – adieu dîner – Départ mouvementé car des salopards se sont installés sur la voie ferrée et nous canardent. La 13e batterie part à l'attaque, ramène 9 suspects qui sont remis à la justice militaire.
Le départ a été si mouvementé que le sous-lieutenant Degoy a oublié son portefeuille sur la table de nuit. Heureusement en faisant l'inspection de la chambre je m'en suis emparé pensant le lui rendre. Malheureusement j'ai complètement oublié de le faire et ce n'est que 3 jours plus tard que je l'ai découvert dans une des vastes poches de ma vareuse et l'ai rendu à son propriétaire qui a du se demander pourquoi je l'avais gardé aussi longtemps alors que je ne l'avais pas autorisé à retourner à Villers-Campeau pour le retrouver.
Au cours de la nuit nous essuyons des coups de feu, nous voyons un peu partout des fusées rouges, finalement les hommes ont la main sur le mousqueton et le capitaine et moi sortons notre revolver.
Une vive fusillade s'engage dans les environs à laquelle prend part une mitrailleuse anglaise, par miracle personne n’est blessé à la 14e batterie ; il se peut que ces tirs aient été déclenchés par des parachutistes ou des motocyclistes allemands infiltrés dans nos lignes ; ce pourrait être aussi le fait d'unités françaises un peu nerveuses qui ont échangé par erreur des coups de feu en raison d’un lacet de la route.
Un embouteillage se produit avec une autre colonne de fantassins et d'artilleurs de la coloniale. En l'absence d'ordre du capitaine Montargès, je décide de cantonner à Marchiennes en déboîtant sur la gauche. Marchiennes est atteint le 21 mai à 8h.
Mardi 21 mai 1940
Le cantonnement s'organise, les hommes prennent un peu de repos, creusent ensuite des tranchées sans se faire prier.
Des avions allemands sillonnent le ciel paraissant nous rechercher, nous pensons les avoir dépistés et c’est un véritablement soulagement de ne plus avoir au dessus de soi l’avion de reconnaissance.
Nous apprenons qu’au cours de la fameuse étape du bois de la Lanière à Bry, le lieutenant médecin Jiron a disparu avec son personnel ; nous espérons qu'ils se sont égarés et qu'ils sont toujours vivants.
Le lieutenant Frienz a également disparu, on dit même qu’il a été tué ; le lieutenant La Flèche a été fait prisonnier par une automitrailleuse. Le renseignement a été confirmé parce que les Allemands qui ont utilisé sa voiture ont été fait prisonniers à leur tour.
Le 6e groupe a également souffert, quant au 12e RAD avec l’aventure de Maubeuge, il a perdu 50 % de ses effectifs.
Mercredi 22 mai 1940
Après une excellente nuit passée dans un bon lit, force est de constater que l’activité de l'aviation reprend de plus belle – activité de l'aviation allemande bien entendu, car depuis le mont Sainte-Geneviève, c'est-à-dire depuis le 16 mai, aucun avion allié n'a survolé nos troupes. La canonnade s'étend sur un vaste demi-cercle. Valenciennes, Douai et Arras seraient en flamme. La situation ne s'arrange pas.
Tout à coup, des bombardiers allemands surgissent. Rase mottes, mitraillages, bombes ; l'adjudant André du 6e groupe est tué et 4 ou 5 hommes de ce groupe sont blessés dont le chauffeur Brossard grièvement atteint.
L'ordre de départ est donné à 20h – direction Orchies puis Sainghin ; il se précise que la poussée allemande le long de la Sambre s'oriente maintenant vers la mer. Nous risquons d'être encerclés. Nous nous demandons pourquoi l'armée belge ne coupe pas cette progression qui ne doit pas s'exercer sur une grand largeur. Manque d’avion sans doute mais aussi manque de liaison. Devant une telle carence on parle tout de suite de trahison …..
L'étape en direction de Sainghin s'effectue sans histoire. Nous commençons à avoir l’habitude des déplacements nocturnes.
Jeudi 23 mai 1940
Les villages miniers bien que bombardés ne sont pas encore évacués, l'accueil que nous recevons est cordial. Les hommes commencent à flairer les magasins ; d'autres avant eux ainsi que la population civile ont commencé le pillage. Je n'aime pas du tout cela.
Toute la batterie est rassemblée dans la cour d'une usine désaffectée, officiers et hommes de troupe couchent dans la paille.
Il est question de faire un môle de fixation comme l'a fait le colonel André.
Vendredi 24 mai 1940
Des avions boches sont pris en chasse par la DCA ; celle-ci serait anglaise.
Dans la soirée, une reconnaissance est faite pour trouver des positions de batterie pour le groupe qui puissent donner appui aux trois villages qui serviraient de base au môle.
Au cours de la reconnaissance, nous tombons, dans le champ où seraient installés les batteries, sur un troupeau de lièvres, j'en compte 14 ; je n’ai jamais vu cela, la guerre ne trouble pas le bouquinage !
Nous ne rencontrons pas que des lièvres ; des avions allemands survolent Sainghin, mitraillent, bombardent à l’aide de petites bombes incendiaires, font du rase motte et nous du plat ventre. En revenant à Sainghin nous sommes pris à partie par des mitrailleuses de chez nous, nouveau à plat ventre.
Sainghin a été mis en émoi par les avions, des chars sortent et patrouillent sans doute à la recherche d'éventuels parachutistes. Ils sont aussi à la poursuite de chiens qui sont supposés allemands et de liaison ….
Il est grand temps de retrouver les batteries car les positions de tir retenues sont pour l'instant sous le feu des troupes alliées quelque peu nerveuses des trois villages d'appui.
Au cours de la journée, nous avons assisté à un important défilé de chars français et anglais en direction de la Bassée.
On parle d'une attaque française et anglaise aidée par l'armée Touchon qui devrait couper l'avancée allemande vers la mer. Enfin quelque chose d'utile qui devrait mettre fin à ce cauchemar d'encerclement.
Les chars alliés reviennent en bon ordre à toute vitesse, mais moins nombreux, nous ne comprenons plus, il y a quelque chose qui nous échappe. Par la suite nous le comprendrons trop bien, la capitulation en rase campagne de l'armée belge a bouleversé les plans de contre attaque, elle est l'origine de notre défaite ; les chars français et anglais avaient fait une percée de 14 km.
Samedi 25 mai 1940
La 14e batterie est mise en position à la lisière de Sainghin depuis la veille au soir ; mise en direction à l'aide d'une carte Michelin à défaut de carte au 1/20 millième de la région !
Au cours de la nuit ordre est donné d'occuper une position près de Vicq au nord de la Bassée ; départ de nuit, mais presqu'arrivée à destination, la batterie doit faire demi tour, la position est occupée par les Anglais qui ne veulent pas nous laisser passer.
Le retour s’effectue au petit matin et une fois encore l’avion de reconnaissance allemand s’en donne à cœur joie.
Au cours de la journée, l'aviation allemande survole Sainghin et mitraille le PC sans dommage, je recueille une balle qui vient de ricocher dans la cour du PC de la batterie.
Le soir, nouvelle reconnaissance, les Anglais, paraît-il, vont évacuer le secteur et la 14e batterie va occuper la position qu'elle n'avait pu obtenir le matin. Je pars en reconnaissance avec le commandant Breiner et les lieutenants de Rodelec et de Vaudiere des 13e et 15e batteries. Les positions sont imposées, on ne peut pas trouver plus mauvais coin, il n'y a aucun masque et nous serons à vue des Allemands.
Pendant ce temps de reconnaissance, une position est aménagée dans les vergers fort bien camouflés de Sainghin, nous effectuons un certain nombre de tirs au cours de la nuit.
Dimanche 26 mai 1940
La 14e batterie reste à Sainghin alors que les 13e et 15e batteries ainsi que l'état-major du groupe vont occuper de nouvelles positions. La 14e batterie est en mission de couverture et ne devra rejoindre les autres batteries à Vicq lorsqu'elles seront en mesure de tirer.
Les 13e et 15e batteries sont immédiatement repérées dès leurs premiers tirs ainsi qu'il fallait s'y attendre ; la contre-batterie allemande est efficace, le lieutenant de Rodeleck est tué, des hommes sont blessés dans les deux batteries et à l'état-major.
Ordre est donné à la 14e batterie de rester sur place, les positions de Vicq étant reconnues intenables, il est bien temps.
La 14e batterie tire toute la journée, environ 500 coups, les Allemands ripostent mais personne n'est atteint en raison des abris construits, par contre un camion et un canon sont atteints par des éclats d'obus.
Lundi 27 mai 1940
Vers 1h, ordre est donné à la 14e batterie d'occuper une nouvelle position à Herlies. Il est temps, car après chaque tir la 14e batterie reçoit des obus. Les pièces se sont enfoncées dans les jardins du village jusqu'aux essieux, les hommes sont fatigués et ont sommeil, aussi la sortie de batterie est longue et la batterie n'arrive à Herlies que vers 18h. Repérés par l'avion de reconnaissance allemand, nous sommes mitraillés 5 minutes après la mise en batterie par des avions allemands volant bas. Heureusement pour nous, des tranchées précédemment établies sont mises à profit et personne n'est atteint.
Le PC de la batterie est dans une splendide propriété au milieu d'un petit parc, c'est confortable et ce devait être l'avis du QG qui y était installé avant nous et qui vient de se replier.
Nous tirons environ 180 coups, les allemands bombardent Herlies mais rien ne tombe sur la batterie.
On nous informe d'une attaque imminente de chars allemands, la 14e batterie se prépare à tirer à vue. L'attaque allemande s'effectue sur la Bassée, notre division est soutenue à droite par des Anglais ; l'ordre est donné de tenir,mais ils profitent de notre accrochage pour décrocher, le trou a été décelé par les Allemands et aussitôt exploité. Le lieutenant Courtin, qui assure la liaison avec l'infanterie, a pu voir le passage de chars allemands sur le canal de la Bassée. Ce renseignement aurait été jugé fantaisiste et des renseignements supplémentaires auraient été demandés. Quand le tir de concentration a été déclenché, c'était déjà trop tard.
Vers 15h ordre est donné de nous replier ; le lieutenant Courtin serait venu au PC du régiment pour l'informer qu'il n'y avait plus de fantassins devant les batteries.
Heureusement pour elles, les chars allemands qui se dirigeaient vers elles dévient nettement sur la gauche ce qui permet aux batteries de dégager ; rien ne les empêchaient d’aller sur nous.
Le village de Herlies a souffert du bombardement, 3 obus ont traversés la clocher de l'église dont une partie est à terre. Les avions d'observation allemands sont toujours là, nous n’y prenons même plus garde et pourtant ils exécutent leur travail, car un carrefour que la 14e batterie doit traverser est soumis à un tir de barrage ; la 14e batterie évite le carrefour en coupant à travers champ et emprunte une route bien ombragée qui longe le canal ; à peine la batterie a-t-elle fait quelques mètres qu'un nouveau bombardement s'effectue, le tir est un peu long de 30 mètres, pour peu que les Allemands s'en rendent compte et raccourcissent, le tir sera au but ; les chevaux en main, la batterie attend que cela cesse.
Le bombardement terminé, la 14e batterie reprend sa marche en direction d'Englos près de Lille où elle doit cantonner. La route est encombrée par toutes les unités qui se replient ; des hommes de toutes armes s'arrêtent ou dépassent la batterie, des autos s'intercalent entre les pièces attelées des artilleurs contribuant ainsi à accroître l'embouteillage qui devient tel que la colonne est obligée de s'arrêter.
Les bombardements se rapprochent, je vois sur une crête une batterie de 75 au grand galop poursuivie par des balles traçantes qui me rappelle une image de l'Illustration de la guerre précédente en 1914-1918. Les tirs de mitrailleuses se font entendre et bientôt apparaissent des éléments des troupes de couverture, suivis d'éléments plus importants ce qui donne à penser qu'il n'y a plus grand monde entre la colonne et les Allemands.
Le capitaine Montargès décide alors de doubler la 15e batterie, à peine la 14e batterie arrive-t-elle à hauteur de la tête de la 15e batterie que la colonne se remet en marche, la manœuvre de la 14e batterie n'a fait qu’accroître les difficultés ; des camions coupent la route, nouveau blocage. Le capitaine Montargès repart en avant pour tenter de débloquer la colonne.
La tête de la 14e batterie est arrivée à un carrefour où un officier essaye aussi de débloquer la circulation, il m'ordonne de prendre la route à gauche ; pensant que le capitaine Montargès au courant je fais déboîter la 14e batterie, la 1ère pièce me suit mais nous sommes trop dispersés, je me dispose à attendre lorsque nous sommes pris sous le feu d'une automitrailleuse. Je fais traverser la crête au grand trot et envoie un cycliste prévenir le capitaine Montargès ; le cycliste revient et m'informe que le capitaine suit la colonne avec le reste de la batterie. Je continue avec la 1ère pièce complétée sur la route que j'ai empruntée au carrefour, pensant trouver une route qui nous dirige vers Englos ; je suis quand même préoccupé, car je croise des batteries qui vont en sens inverse de la 1ère pièce.
La nuit tombe, des incendies éclatent dans les villages, des fusées rouges s'allument un peu partout. En approchant d'Englos qui est en flammes aussi, je décide de me diriger vers l'Ouest, seule partie de l'horizon qui me paraisse non soumise au tir des Allemands.
La petite route que nous suivons est coupée par un entonnoir, il faut passer à travers champ, le passage est délicat en raison d'un fossé profond, le caisson passe bien, mais le canon reste dans le fossé. Il n'est pas question de l’abandonner ; je recrute des fantassins qui passent et avec les servants, ils s'appliquent aux roues et sortent le canon de ce mauvais pas.
Je continue toujours vers l'Ouest, les fusées rouges sont toujours aussi nombreuses sur la droite et sur la gauche, les incendies continuent derrière nous.
Mardi 28 mai 1940
A un carrefour nous rencontrons une grande colonne hippomobile et, par chance inespérée, c’est la colonne de ravitaillement de notre groupe, lequel avait lui-même dévié vers l’Ouest.
Avec joie je m’intercale et désormais me laisse conduire.
Une heure après, la colonne s'arrête devant un tir de mitrailleuse, des balles traçantes passent au dessus de nos têtes. Renseignements pris, il y a deux auto mitrailleuses allemandes qui battent un carrefour que la colonne doit traverser.
Ordre est donné de faire demi tour pour prendre la direction d'Armentières ; le demi tour s'effectue correctement dans un champ en pleine nuit.
Vers 4h, la colonne arrive à Armentières où se produit encore une fois un embouteillage monstre ; il faudra 3h30 pour traverser la ville dont une partie est en flammes et le reste n'est plus que décombres.
C'est la première ville que je vois détruite à ce point, pas une maison n'est épargnée ; des cadavres gisent sur la chaussée, dans une maison éventrée, deux cadavres calcinés que j’avais pris tout d’abord pour des mannequins sont par terre. Partout il y a des cadavres, c'est abominable.
Les hommes sont éreintés mais cela ne les empêche pas de visiter les magasins d'alimentation et de boissons. C'est écœurant ce spectacle d'hommes qui ne pensent ,au milieu des morts, des ruines, qu'à ripailler et boire. J'interdis à nos hommes de les imiter.
La traversée d'Armentières s'est effectuée sans que la colonne ait été mitraillée, cependant les avions de reconnaissance allemands sont toujours là.
A l'entrée de Bailleul, la tête de la colonne où se trouve le 6e groupe est bombardée par une trentaine d’avions allemands, la DCA entre en action et nous voyons 2 avions descendus.
La petite ville de Bailleul que nous devions traverser a été bombardée, la colonne la contourne, nous sommes tout étonnés de recevoir quelques obus allemands. Décidément nous sommes suivis de près puisque l’artillerie allemande peut nous atteindre et pourtant nous marchons depuis la veille.
La colonne atteint Saint-Jans-Cappel, où sont logés les échelons et le 6e groupe ; les batteries du 5e groupe restent, faute de place, en dehors, heureusement pour elles car les avions allemands ne tardent pas à faire des piqués sur le village ; le 6e groupe y perd quelques hommes et quelques chevaux et des incendies éclatent.
Après une pluie diluvienne, ordre est donné de faire route vers la mer et de traverser Saint-Jans-Cappel dont l'accès est rendu impossible en raison d'un embouteillage considérable de camions anglais et français.
Le groupe fait demi tour pour emprunter une autre route, mais à 3 km du point de départ, il faut revenir au cantonnement pour attendre les instructions de la 32e DI à laquelle le 212e RALD est rattaché, la 43e DI étant dissoute.
Retour au cantonnement, qui est déjà occupé par une unité d'auto de ravitaillement d’essence.
Tant bien que mal, la 14e batterie se case. Je suis tellement fatigué que je m’endors à table, finalement je vais me coucher avec les hommes dans un grenier. Au milieu de la nuit, je suis contraint de me lever pour dépêtrer un cheval qui a basculé dans un fossé. (les chevaux sont restés attelés en prévision d'un départ hâtif). Je constate que les unités d'artillerie ne cessent de défiler devant nous. Avec le capitaine nous pensons que nous perdons trop de temps.
Dans l'après midi et dans la soirée nous avons vu des batteries anglaises tirer, et d'après l'orientation des canons nous nous rendons compte que nous sommes pris dans un étau et qu'une seule route reste possible. Celle qui conduit à la mer ; encore ne faut-il pas trop attendre.
Mercredi 29 mai 1940
Afin de se camoufler pour échapper aux vues aériennes, la 14e batterie s'est installée dans une ferme. Tout à fait par hasard, allant au ravitaillement, je m'aperçois que le groupe fait mouvement ; l'agent de liaison, ne nous trouvant, pas partait avec le groupe sans s'inquiéter autrement de notre sort.
La 14e batterie part à son tour mais avec 1h30 de retard en plein jour ; la route est encombrée de nombreux matériels abandonnés. Tout est dévasté, les chariots, les autos, les motos, des caisses de munitions sont basculées dans les fossés, des chevaux crevés gisent un peu partout. C'est une impression de débâcle, les Anglais fuient à toute allure.
La 14e batterie se dirige vers Popperinge en empruntant une route détournée pour éviter la route nationale encombrée de camions. Bien nous en prend, car elle évite un bombardement auquel de 300 mètres nous assistons.
Nous croisons des Anglais qui ont avec eux un Allemand prisonnier, grand gaillard blond qui est traité en camarade par ses gardiens.
La 14e batterie atteint Popperinge derrière la 16e batterie du 6e groupe.
Les hommes et les chevaux sont exténués, un attelage de la 4e pièce ne peut plus avancer, s'arrête pour être remplacé. Je reste avec lui tandis que la batterie continue sa marche.
On mitraille en tête de la colonne, le capitaine Montargès fait mettre pied à terre sous le feu d'un tank ou d'une auto mitrailleuse, 5 chevaux et des hommes de la 2e pièce sont tués, le canon est renversé dans le fossé.
Il n'est pas possible d'éviter la route. J'attends qu'une rafale cesse, les attelages de la 14e pièce sont au trot derrière moi, je les ramène jusqu'au coude de la route soumise au feu des Allemands, fais signe aux attelages de partir au galop et couché sur l'encolure de mon cheval, je pars au galop, aussitôt pris comme cible, les balles traçantes m'encadrent et je dis trop court, trop long. Bizarre impression que d’être pris pour un lapin. Je dépasse le canon de la 2e pièce dont les attelages ont été atteints et qui a versé dans le fossé puis j'arrive à un lieu abrité ; à ce moment ce sont les attelages qui étaient derrière moi qui sont pris à partie et mitraillés.
Le pauvre Descamp est tué, Thiebaud blessé à la jambe, un servant a disparu que nous ne reverrons pas. Dans le parcours, une nouvelle malchance : une roue de caisson s’est détachée et le caisson doit être abandonné. Nous perdons donc 1 canon et 1 caisson dans l’aventure.
L’automitrailleuse continue à nous chercher, les balles sifflent à nouveau, nous ne pouvons rester là à attendre Arnould et ses hommes sans courir le risque de faire massacrer inutilement ce qui reste de la batterie de tir.
Le maréchal des logis Arnould chef de pièce de la 2e pièce est chargé de ramener les hommes de la 2e pièce et de rejoindre plus tard la batterie qui doit continuer sa route ; il est accompagné du tireur de la 2e pièce Berruzi (ils rejoindront par la suite la batterie avant l'embarquement à Dunkerque).
La 14e batterie rejoint la route de Popperinge à Dunkerque tellement encombrée de véhicule démolis et en feu à la suite des bombardement qu'elle est obligée de passer à travers champ.
Il reste encore sur place de nombreux hommes français et anglais tués ou blessés.
La batterie doit rejoindre Oost-Cappel par Roesbrugge et passer le canal avant que les ponts ne sautent.
Après avoir traversé Krombeke, nous voyons des drapeaux blancs partout et des Belges désarmés. A nos demandes de renseignements, on répond désagréablement et on nous invite à quitter la ville au plus vite qui serait interdite aux Français ainsi qu'aux Anglais.
Roesbrugge est soumis à un bombardement, inutile d'essayer de passer ; le canal est traversé à Stavele. Demi-tour en direction de Stavele.
Nous sommes étonnés de voir le long de la route du matériel anglais saboté et abandonné ; il y a de superbes canons, des camions, des autos, des motos, des obus, des armes portatives, des cartes dans les fossés. Des vêtements neufs sont répandus pêle mêle sur le sol ; de nombreux incendies, c'est encore du matériel anglais qui flambe.
L’impression est démoralisante au possible, tout ce matériel neuf devait pourtant étre utilisé. De nouveau la pensée d’une trahison vient à l’esprit.
La 14e batterie arrive à Izenberge où nous sommes reçus avec beaucoup d'amitié par des Belges désarmés qui nous ravitaillent, offrent la soupe aux hommes, de l'avoine aux chevaux, les uns comme les autres en ont besoin.
Nous acceptons avec joie mais nous sommes désespérés d’apprendre en même temps la capitualtion Belge. Les Belges avec qui nous causons sont également désespérés de la décision de Léopold et le disent traitre à la Belgique.
La nuit tombe, la 14e batterie continue sa route vers Abeele et Hondschoote ; le spectacle est toujours le même, un immense matériel neuf est détruit volontairement.
A Hondschoote les ponts ont sauté, il faut aller à Hautten pour passer le canal. Nous y rencontrons le commandant Breiner juché sur un tanside de moto, heureux de retrouver la 14e batterie dont il était sans nouvelle depuis des heures.
Il paraît un peu dopé. La 14e batterie doit traverser le canal de Bergues à Veurne et rejoindre le groupe à Moers.
Les explications données sont si embrouillées que jointes à celles qui nous sont fournies par un douanier belge que la 14e batterie erre dans Hautten jusqu'à 2h sans trouver les ponts.
Jeudi 30 mai 1940
Au cours des pérégrinations nocturnes le long du canal, un canon s'embourbe que nous sommes obligés de le laisser sur place après l'avoir rendu inutilisable. Près de là un camp de camions anglais brûle dans la nuit.
Le capitaine Montargès est harassé et pour un peu, succombant au sommeil, il serait disposé à rester à Hautten et à ne faire franchir le canal qu'au matin. Je le persuade qu'il faut se hâter et grâce à quelques Anglais nous finissons par trouver le pont pour franchir le canal, il est temps car il va sauter.
Vers 4h, la 14e batterie arrive à Moërs, il fait jour à cette époque de l'année ; il y a un immense camp où sont rassemblés beaucoup de matériels, français cette fois, nous sommes invités à laisser le nôtre mais nous refusons de le faire et repartons pour tenter d'embarquer à Panne-Baden en passant par Dunkerque.
Les Anglais se sont réservé Panne-Baden et la 14e batterie est refoulée sur Bray-Dunes ; en passant par Zuydcoote, nous retrouvons les hommes qui étaient restés à Popperinge.
La 14e batterie devrait, paraît-il embarquer à Malo-les-Bains d’ou un nouveau départ l’après midi ; elle atteint enfin Malo-les-Bains vers 17h. J'ai plaisir à me raser en utilisant l'eau d'une lagune.
Ordre est donné d'abandonner notre matériel et de ne conserver que 2 musettes chacun pour ses effets personnels.
Les pièces sont sabotées, les roues brisées à coups de masses, le feu est mis aux archives, les chevaux sont mis en liberté bien qu'il est été demandé de les abattre ; le tri des affaires personnelles me donne l'occasion d'envoyer promener un civil qui farfouillait dans ma cantine.
C'est un moment difficile à passer que d'abandonner les canons que nous avons eu tant de peine à conserver. Après un dernier adieu à nos chevaux, nous partons à pied vers Dunkerque mais la route est bombardée, nous passerons donc par les dunes.
Halte dans les dunes de Bray-Dunes (noir de monde) où nous assistons à l'embarquement d'une compagnie d'Anglais sur de petites barques venues de la mer depuis l'Angleterre. Nous avons pu constater que l’embarquement en pleine plage n’est pas sans risque, nombreuses étaient les barques qui chaviraient.
J'admire le calme des Anglais formés en un grand rectangle de 100 mètres ; des premières vagues qui embarquent en se mettant à l'eau à 20 ou 30 mètres du bord de mer. Si les avions allemands arrivaient, il y aurait du beau travail, malgré la DCA des navires de guerre et des avions canadiens qui protègent la côte. A propos de ces avions, nous étions tellement habitués à considérer que tout avion était forcément allemand que des hommes ont tiré plusieurs fois sur eux et aussi d’ailleurs sans dommage.
Dans la soirée nous sommes toujours dans les dunes, les hommes se reposent et certains dorment. La nuit tombée, un guide vient nous chercher pour nous conduire à Dunkerque ; je réveille ceux qui dorment dont l'adjudant chef Wern, un robuste alsacien et nous suivons le guide.
Nous atteignons Dunkerque qui est déjà en partie détruit par des bombardements antérieurs et sous un nouveau bombardement, nous nous rapprochons des quais et prenons abri auprès du capitaine Montargès dans une très grande cave malheureusement garnie de bouteilles de vin. Nous y restons toute la nuit pendant que je reste à l'entrée du soupirail et que le bombardement sur la ville continue.
Vendredi 31 mai 1940
Vers 6h30, ordre est donné d'embarquer sur le Margaux. Comme par enchantement à peine avons nous fait 100m, le bombardement s'arrête. Nous nous hâtons vers les quais ; la gare maritime est en ruine et nombreux sont les pauvres soldats restés sur le sol. Il y en a de notre régiment ; le 6e groupe a embarqué au cours de la nuit et il y a eu de la casse, les capitaines Soisson et Valentin ont été tués sur le quai ainsi que le lieutenant Legrand de la 13e batterie, les morts et les blessés sont nombreux.
Les 13e et 14e batteries et la colonne de ravitaillement embarquent en même temps sur deux bateaux côte à côte.
En cours de manœuvre, des avions allemands survolent les quais, la DCA d'un des deux bateaux les met en fuite. Nous sommes joyeux de les voir fuir devant les petits obus traceurs qui leur sont envoyés.
Le bateau sur lequel se trouve le commandant Breiner, le lieutenant Roblot et le capitaine Kircher (tout à fait démoralisé) part avant le Margaut qui attend des retardataires.
Finalement, le Margaut part à 7h30 salué par 3 salves d'obus allemands qui ne l'atteignent pas, heureusement pour nous car la cale est pleine de munitions.
La traversée de la Manche s'effectue sans incident ; la mer est calme, nous croisons quelques bâtiments, et pouvons voir ceux qui ont été coulés au cours des précédents embarquements à Malo car nous repassons devant la plage. Un navire anglais nous accompagne ainsi que de temps à autre des avions anglais. Nous avons enfin le sentiment que nous échappons à la poursuite.
Le Margaut accoste à Douvres ; l'accueil est très cordial, même chaleureux, tout est organisé. Nous laissons à Douvres le corps du capitaine Soisson et de certains de ses hommes, les blessés sont évacués. Thibaud est de ceux-ci. Les hommes valides sont désarmés et dirigés vers des cantines, les officiers vers un compartiment de chemin de fer très confortable ; le même confort est réservé aux hommes de troupe qui ne manqueront pas de le rappeler lorsque plus tard en France ils retrouveront les wagons de marchandise.
Tous les wagons sont verrouillés pour éviter la pagaille, ceux des officiers compris ce qui nous paraît un peu exagéré.
En cours de trajet,nous avons l'occasion d'apprécier l'hospitalité anglaise. A chaque arrêt en gare, des anglais et des anglaises nous offrent des brioches, gâteaux, sandwich, du thé, des cartes postales, des cigarettes ; les cartes postales remplies sont récoltées à la gare suivante pour être expédiées en France. Nous sommes touchés par tant d'attention et ne savons pas comment remercier.
Le train qui nous transporte vers Plymouth longe les rives de la Manche. Nous admirons les plages fort belles bordées de falaises rouges, une vaste campagne verte semblable à notre Normandie et qui parfois s’étendait jusqu’à la mer même. J'ai apprécié une veille église d'un petit village, toute couverte de lierre et d'aspect médiéval.
Par contre, les villes traversées ne m’ont paru avoir aucun intérêt avec leur immeubles absolument semblables et monotones.
Plymouth est un port splendide, prolongé par une grande plage qu'égayent de luxueux établissements accrochés à flanc de falaise.
Par une dernière attention, les Anglais nous offrent, avant notre embarquement pour la France, un concert donné par de fort dignes gentlemen en uniforme noir avec parements rouges ; rangés à proximité de l'El Djezaïr sur lequel nous ferons la traversée de la Manche. Air français et pour finir : « nous irons étendre du linge sur la ligne Siegfried » ….
l'El Djezaïr est un paquebot français de la Méditerranée ; nous y sommes accueillis avec l'amabilité qui caractérise les marins ; les officiers cèdent leurs cabines à leurs homologues de l'armée de terre, se privent afin que nous ayons une nourriture abondante. Les hommes sont entassés un peu partout ; il y en a d'armes diverses. Nous voyageons avec des rescapés de la Bourrasque et nous apprenons avec peine la fin du Sirocco, de l'Orage, du Guépard (que j'ai visité à Marseille), du Chacal qui ont été coulés en venant porter secours à l'armée des Flandres. Nous avions vu à Douvres un contre-torpilleur français dont tout l'avant avait été arraché.
Tout à fait par hasard, je rencontre à bord de l'El Djezaïr un ancien camarade du lycée de Poitiers. Mathias, toubib à 3 galons, c'est le 1er que je rencontre depuis le début des hostilités.
La marine anglaise a remis à chacun de nous une ceinture de sauvetage ; il paraît que 3 sous-marins allemands rodent dans le secteur.
Nous quittons Plymouth à 20h ; le temps est idéal ; je me couche sur mon matelas et dors du sommeil du juste ; je crois bien n'avoir jamais aussi bien dormi.
Dimanche 2 juin 1940
Réveil à Cherbourg ; nous avons plaisir à revoir la France, nous pensons tout de suite à envoyer un télégramme à la famille.
Vers 10h, nous assistons à une messe célébrée sur le gaillard d'avant par l’aumônier du bord et après un bon déjeuner nous débarquons à 16h.
Mes bagages se sont encore réduits depuis Malo-les-Bains ; un Marocain que nous avions tiré d'affaire en Belgique et m'en montrait une grande reconnaissance avait tenu à porter une de mes deux musettes. Il a disparu à Plymouth, soit qu'il ait été mis en surveillance par les Anglais en raison de son origine, soit qu'il ait volontairement disparu à Plymouth.
Quoiqu'il en soit, j'ai perdu ainsi bêtement un uniforme, des notes personnelles du début des hostilités et ma trousse de toilette.
A Cherbourg, on nous dirige vers un camp où nous retrouvons une partie de 5e groupe. Nous pouvons enfin envoyer un télégramme.
Embarquement en chemin de fer pour la Chapelle-Yvon près de Lisieux où nous arrivons le 3 juin ; les hommes font alors la comparaison des moyens de transport par le fer en France et en Angleterre.
Lundi 3 juin 1940
Installation à la Chapelle-Yvon, les hommes se regroupent par pièce. Les Normands nous reçoivent très aimablement, sauf le gargotier qui abuse de la situation.
Nous pouvons écrire à nos familles et recevoir des lettres dont nous avons été privés depuis le 10 mai 1940.
Lundi 10 juin 1940
Départ du régiment en direction d'un centre de regroupement non encore indiqué ; le déplacement s'effectue d'abord à pied.
1ère étape 29 km arrivée le 11 juin à Heurtevent.
Mercredi 12 juin 1940
2e étape 7 km arrivée à Billot.
Vendredi 14 juin 1940
3e étape 24 km arrivée à Eparnay.
Samedi 15 juin 1940
4e étape 10km arrivée à Damblainville, embarquement en chemin de fer à 17h.
Altercation entre le colonel Tatou et des officiers d'un autre régiment suivie de voies de fait sur l'un de ces officiers par le colonel Tatou.
Le colonel Tatou, trépané de la guerre 1914-1918 où il avait eu une très brillante conduite, n'acceptait pas la défaite de nos troupes et devenait d'une irascibilité dangereuse. C'est ainsi qu'au cours d'une des étapes précédentes, il avait giflé le conducteur Duchène de la 14e batterie et braqué son revolver sur le ventre de ce conducteur qui ayant perdu son manteau de cavalier au cours de la retraite avait récupéré un manteau anglais.
J'étais présent et je lui ai fait retirer son revolver qu'il a remis dans son étui en me demandant qui commandait ici, je lui ai répondu moi, il a fait demi tour sans plus d'explication.
Duchène était un homme de 40 ans d'excellente mentalité que j'ai eu l'occasion après notre démobilisation de retrouver à Nancy et de lui procurer un emploi de chauffeur de chaudière à vapeur dans une entreprise locale, ce qui était son métier.
Dimanche 16 juin 1940
Le train qui transporte le 212e RALD se dirige vers le Sud par Falaise, Briouze, Domfront et Laval ; il effectue de nombreux arrêts au cours desquels les mécaniciens complètement ivres sont expulsés.
Lundi 17 juin 1940
Vers 8h45, le train arrive en gare de triage de Rennes où il stationne à côté d'un train qui transporte des troupes anglaises et d'un autre train qui transporte des munitions, ainsi que d'un train qui transporte des réfugiés.
A 10h, la gare de triage est survolée par 5 avions italiens (NDLR : Louis Bourlaud pensait qu'ils étaient italiens, il s'est avéré que c'était une escadrille allemande) qui passent en rase mottes en larguant des bombes qui atteignent les 4 trains. C'est un carnage, le train de munitions est en feu et les explosions des munitions s'ajoutent à celles des bombes d'avions et continueront longtemps encore après le passage des avions, par chance, le wagon dans lequel je suis avec des officiers du groupe n'est pas atteint, deux bombes d'avion tombées, l'une à l'avant du wagon, l'autre à l'arrière n'ont pas explosées.
Par contre de nombreux hommes de la 14e batterie y ont laissé leur vie ou ont été blessés ; mon brave ordonnance Midou un gentil garçon de 20 ans si dévoué a été tué. J'indiquerai à la fin de ce compte rendu la liste des tués, blessés et disparus de la 14e batterie au cours de mai à juin 1940 que j'ai établie sans pouvoir cependant affirmer, faute de vérification, qu'elle ne comporte pas d'erreurs ou d'omission.
Le 212e RALD, dont l'effectif est très diminué en raison des tués et blessés, effectue un ré-embarquement vers 22h direction Savenay et Nantes où il stationne un certain temps ce qui me donne le temps d'aller dîner et de prendre un bain chez mon oncle et ma tante Biard le 18 juin 1940.
Mercredi 19 juin 1940 – Samedi 22 juin 1940
Départ du train vers 2h45 pour la Roche-sur-Yon, la Rochelle, Rochefort-sur-mer, Sainte, Angoulême pour arriver à Bordeaux, d'où nous repartirons le 22 juin 1940 à 5h15.
A Bordeaux, il y avait près de notre train d'autres trains de troupes et un train de marchandises que des troupes étrangères à notre régiment étaient en train de piller. Le capitaine Morel de la 15e batterie du 212e RALD était dans des wagons de marchandises en train de disperser les pillards à l'aide d'une canne, je suis arrivé à temps pour lui éviter de recevoir sur la tête un casier à bouteilles qu'un sous-officier derrière lui s’apprêtait à lui assener. A ma vue ce voyou a pris la fuite et le capitaine Morel n'a jamais su que je lui avait sauvé la vie.
Départ à 7h le 22 juin par Orthez, Pau et arrivé à Coarraze-Nay à 18h15.
Dimanche 23 juin 1940
Départ de la 14e batterie pour Angaïs à 6h, 7km.
A 18h15 signature de l'armistice avec l'Allemagne.
Lundi 24 juin 1940
Signature de l'armistice avec l'Italie à 19h15.
Mardi 25 juin 1940
Fin des hostilités – à 1h30. Jour de deuil national
Mercredi 26 juin 1940
Messe et cérémonie
Le 7 août 1940 à 0 heure
le 212e Régiment d’Artillerie est dissous.
COMMENTAIRES
Le périple de la 14e batterie et du régiment pourrait faire penser qu'il s'est effectué avec un certain désordre. Il n'en est rien le 212e RALD a obéi aux instructions qui lui ont été données et a toujours conservé une entière cohésion tant dans ses déplacements dans l'Est de la France qu'au cours de son passage en Angleterre et de son retour en France et il n'a pas à rougir de son comportement, les pertes en hommes qu'il a subit ont été très importantes.
La bataille de France en 1940 a été perdue parce que l'armée française était restée dans la ligne de la guerre des tranchées de 1914-1918 alors que l'Allemagne avait compris la suprématie que pourrait donner l'aviation et l'impuissance comme défense d'une ligne Maginot d'ailleurs incomplète, qui ne pouvait s'opposer au passage des troupes aéroportées.
Par ailleurs la protection que pouvait donner une puissance neutre comme la Belgique était illusoire.
Extrait du journal de Jane Biard 1940
C'est ainsi que nous rejoignons Nantes où nous retrouvions notre fille à 20 heures dans un coquet petit appartement ; elle était aussi calme qu'heureuse de notre arrivée. Voyez-vous dit-elle nous les attendons.
Chacun en effet de sa fenêtre attendant la rentrée des armées allemandes.
A peine étions-nous assis que le téléphone retentit. Elle s'y précipite et nous entendons : "toi ici, oh! quelle chance, nous y courons!!!"
C'était mon neveu Louis qui arrivait en gare de Nantes qui désirait nous voir. D'un bond, l'auto nous y transporte. Nous n'avions pas vu ce cher enfant depuis le début des hostilités, parti comme lieutenant, il s'était vaillamment comporté et avait obtenu deux citations. Nous n'avions qu'une hâte : le voir et l'embrasser.
Dans la cour de la gare, nous voyons un cher et joyeux visage tout barbu, le casque recouvert de boue, les molletières déroulées dont à chaque pas l'une frappait le sol. Il accourait et sentait que nos cœurs vibraient à l'unisson du sien,. Les larmes aux yeux, nous l'entraînons à la voiture pour lui donner quelques instants de repos, relatif car le train va bientôt repartir et nous l'emmener.
Nous remontons à l'appartement, tel un canard, notre convive se précipite sur la toilette. Il n'a pas le temps de prendre le bain que je lui offre, les minutes sont comptées alors vite à table ! C'est au cours du repas qu'il nous conte ses mésaventures passant sous silence les prouesses qui lui valurent les deux citations ; il nous a raconté qu'il venait d'assister à un terrible drame en gare de Rennes ; leur train était en attente auprès d'un autre chargé d'explosifs, un avion ennemi passe et jette sur eux sa charge d'obus, la moitié de son effectif est tué.
Par une chance extraordinaire, un obus tombe près de lui sans éclater et c'est ainsi qu'il s'en est tiré pour courir au secours des blessés et dégager les morts ! Pauvres enfants ! vous qui revenez des Flandres pour mourir si stupidement.
Allons Louis, c'est l'heure, nous allons te conduire au train. Que le temps passe donc vite ! Pour toi mon petit, la guerre ne sera plus de longue durée, on parle d'armistice, la famille a été protégée, les nôtres sont indemnes. A bientôt donc, et bonne chance !